• DNA du 03 octobre 2016 : René Baumann, 71 ans après l’enfer

    Le Hirsinguois René Baumann a connu, lors de la Seconde Guerre mondiale, un parcours terrifiant : déporté NN, il a été interné deux fois à Mauthausen, une fois au Struthof, une fois à Dachau et a suivi une « marche de la mort ». Il a survécu, s’est reconstruit et s’est armé d’un sourire inaltérable. Une professeure d’histoire vient de mettre sa vie par écrit.

    Ils ont tout fait pour lui prendre son humanité. En échange, ils lui ont donné des numéros. Il est devenu un « Stück » , marqué de quatre matricules successifs : 64 094 à Mauthausen, 17 592 au Struthof, 100 688 à Dachau, 97 621 de nouveau à Mauthausen. En 19 mois, entre son arrestation dans les Alpes, en novembre 1943, et son retour à Hirsingue, en juin 1945, soit entre ses 20 et ses 22 ans, le Sundgauvien René Baumann est passé par une dizaine de lieux d’internement : prisons, casernes, camps annexes, camps de concentration ou d’extermination… En plus de ces numéros, il portait le triangle rouge des déportés politiques et était fiché NN. Pour Nacht und Nebel , Nuit et brouillard. Ce traitement de faveur était réservé aux opposants au Troisième Reich : il leur promettait de « disparaître sans laisser de traces » et sans qu’aucune information ne soit donnée sur leur sort.

    Or, plus de 70 ans plus tard, René, 93 ans, est toujours là, dans les bureaux de la minoterie de Hirsingue. Là où il a toujours travaillé et là où il est né. Humble, discret, prévenant. Cet homme a connu l’enfer, subi la barbarie et il pratique la gentillesse. À ses côtés se trouve une jeune femme : Audrey Guilloteau, 34 ans. Elle est professeure d’histoire au lycée Henner d’Altkirch et elle vient de lui faire un cadeau formidable : un livre retraçant son parcours. Mais ce cadeau n’est pas une faveur : c’était la moindre des choses. Il fallait juste que René rencontre la bonne personne…

    Trahi pour 800 francs

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    Cette rencontre s’est faite en 2013 dans le cadre du concours national de la Résistance et de la Déportation, dans lequel se sont distingués des élèves d’Audrey. Lors de voyages mémoriels, René a lâché des bribes de son parcours de déporté. « J’ai trouvé son histoire extraordinaire ! , se souvient Audrey. Et je me suis demandée pourquoi elle n’avait pas encore sa place dans les bibliothèques. » René n’attendait que ça… Alors l’ancien déporté et la jeune professeure se sont retrouvés à la minoterie, pendant deux heures, toutes les semaines, entre janvier et octobre 2015. Replonger dans de tels souvenirs fut-il douloureux ? « Non, non, je voyais Audrey avec joie ! » , assure René. « Avec lui, tout va toujours bien , constate l’historienne. Il ne se plaint jamais, il est toujours souriant… »

    Ce sourire est une pudeur. Très longtemps, René n’a pas parlé, parce qu’il fallait se reconstruire et revivre en communauté, avec les voisins et les membres de sa famille qui avaient suivi des trajectoires et fait des choix différents. Mais depuis les années 2000, René intervient dans les établissements scolaires. « J’aime ce contact , dit-il. Mais je ne raconte pas facilement… »

    Alors Audrey a dû insister, revenir incessamment sur les détails de ces enfers qui n’en finissaient pas. Elle a vérifié les faits, complété les souvenirs de René avec d’autres témoignages. Et elle a signé, au final, un livre complet, documenté et illustré, qui va au-delà d’un cas particulier pour raconter une histoire de l’Alsace dans le cataclysme de la Seconde Guerre.

    Le drame de René débute avec cette décision cornélienne qu’ont dû prendre les jeunes hommes d’Alsace après août 1942 : fuir ou non l’incorporation de force. Cette décision se prenait avec les parents, concernés par les représailles en cas de fuite. Chez les Baumann, cette réunion se passe en octobre 1942. René vient à peine de rentrer du Reichsarbeitsdienst (RAD), qui fait office de préparation militaire à la Wehrmacht. « Mon père avait fait 14-18 dans l’armée allemande , raconte René. D’abord, il m’a dit : “C’est dur, mais il faut le faire !” Mais quand il a vu la mentalité des nazis, il a eu cette phrase : “Ce ne sont plus les mêmes Allemands…” » La décision est alors celle-ci : partir. René passe en Suisse le 11 octobre 1942, à 19 ans, avec deux camarades, Léon Specklin et Léon Sengelin. Il suit ensuite un parcours assez classique de réfractaire : celui-ci le mène en France, dans l’armée d’armistice d’abord, dans la Résistance ensuite. Mais il ne reviendra pas, comme beaucoup d’autres, en Alsace dans l’armée des libérateurs. La faute à un traître, qui a infiltré son réseau, dans les Hautes-Alpes. Audrey précise que ce Judas a reçu 800 francs de l’époque comme prix de sa trahison. Celle-ci aurait permis 80 arrestations. Les nazis ont sans doute fait une affaire…

    Le remords du SS

    Commence alors un parcours hallucinant dans le monde concentrationnaire. Le calvaire débute à Neue Bremm, « la Nouvelle Brême » , un camp de transit pour les détenus NN à Sarrebruck. « Dès mon entrée dans le camp , dit René dans le livre, j’ai le souffle coupé par une vision d’horreur : une horde de morts-vivants, presque des squelettes, tourne autour d’un bassin rectangulaire rempli d’une eau verdâtre… » Bienvenue en enfer. René y reste un mois, avant d’être envoyé à Mauthausen. « À 50 km de l’endroit où j’aurais dû me rendre si j’étais allé dans la Wehrmacht ! » Que faire face au destin ? Il découvre le travail criminel à la carrière, l’escalier démoniaque aux 186 marches. Deux mois plus tard, il apprend qu’on va le transférer en Alsace. Cette idée le « remplit de joie »… Il ne sait pas qu’on l’envoie au Struthof, où Himmler veut réunir tous les NN. Puis, devant l’avance alliée, passage par Dachau, en septembre 1944, et retour à Mauthausen et dans le camp annexe de Melk. Avant d’entamer, en avril 1945, une « marche de la mort » : un exode à pied sur des routes interminables qui achève les derniers survivants.

    Tout ceci est raconté avec sobriété et précision. On nous parle des punaises et des poux, du problème des latrines, des cadavres, des phlegmons aux pieds, des morsures des chiens et de la faim, de la solidarité entre déportés… René raconte aussi ce fait rare : le remords d’un SS. Pendant la marche, il entend un nazi dire à un autre : « Je ne peux plus supporter tout ça : un jour, nous paierons pour ces crimes… » Et l’autre de répondre : « Si tu le redis une seule fois, je te dénonce ! »

    Quand René retrouve enfin le Sundgau, dans les yeux de ses parents, l’effroi le dispute au bonheur. « Je pesais 76 kilos lors de mon arrestation, j’en faisais 28 à mon retour. » Il est rentré de l’enfer, mais il n’est pas sorti d’affaire. Il doit être hospitalisé avant de reprendre le cours de sa vie hirsinguoise : un travail à la minoterie, des engagements dans le club de football, chez les sapeurs-pompiers… En 1956, il épouse Hélène Schueller, qui lui donnera trois enfants. Pour leur voyage de noces, il l’emmène dans les Hautes-Alpes et… à Mauthausen. Il voulait sans doute lui montrer ce qu’il ne pouvait lui dire.

    L’atout de la langue

    Comment expliquer qu’il ait survécu à sa « disparition » programmée ? « J’étais en forme… » , répond René. On peut ajouter qu’il avait de la volonté, une nature optimiste, une grande chance dans son énorme malchance. Il avance encore une autre raison : « Je connaissais l’allemand, et ça, c’était primordial ! Je comprenais ce qui se disait et se passait, et je restais dans la masse, je ne me faisais pas voir… La vie, à quoi ça tient, hein ? Pas grand-chose… »

    Dans le bureau hors d’âge de la minoterie de Hirsingue, René insiste pour ouvrir une bouteille de champagne avant de nous laisser repartir. On trinque alors, pour le plaisir de rencontrer un tel survivant. Comme un hymne à la vie. Un pied de nez aux barbares.

     

     

    Journal l'Alsace du 25 mai 23

    Jean-Pierre Tschaen, ancien incorporé de force : « Je n’ai plus de sentiment de revanche »

    Jean-Pierre Tschaen a attendu la fin des années 2000 pour témoigner de son incorporation de force. Cet Alsacien originaire de Kaysersberg ne parlait pas de la guerre à ses proches. Ancien Waffen SS, engagé dans la 1re Armée française en décembre 1944, il regarde avec lucidité cette époque si complexe pour des Alsaciens dont le cœur battait français.

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    Jean Bézard et Jean-Pierre Tschaen se sont connus grâce à une lettre que le premier avait envoyée au second il y a une quinzaine d’années. Le fondateur de la SNIFAM (solidarité normande avec les incorporés de force d’Alsace-Moselle) cherchait à l’époque la trace de deux incorporés de force qu’il avait croisés un jour de juillet 1944 à Gouville-sur-Mer, village posé au nord-ouest de Coutances en Normandie. Il adressait ce type de courrier aux Alsaciens qui avaient combattu dans sa région natale après le Débarquement. C’était le cas pour Jean-Pierre.

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    Au sein d’une compagnie du régiment Deutschland rattaché à la division blindée Das Reich

    Depuis cette première missive, une belle amitié est née entre les deux hommes. Et lorsque Jean Bézard et sa compagne, Nicole Aubert, posent chaque printemps leurs valises en Alsace, ils ne manquent pas d’aller voir à Ammerschwihr Jean-Pierre Tschaen, qui partage sa vie avec Suzanne Florence.

    Rencontrer Jean-Pierre Tschaen, c’est se replonger dans un passé lointain, celui d’une Alsace occupée par les nazis. Originaire de Kaysersberg, le nonagénaire, à la mémoire intacte, raconte avec placidité cette époque de sa vie qui ne fut pas facile comme pour la plupart des jeunes de son âge. Lui est né en 1926, classe maudite qui fut en grande partie incorporée de force dans la Waffen SS. Jean-Pierre n’a pas échappé à ce funeste destin. Il a reçu son uniforme et son équipement en février 1944, en Prusse orientale, avant de retourner en France, au sud de Bordeaux où stationnait son unité, une compagnie du régiment Deutschland rattachée à la division blindée Das Reich.

    Jean-Pierre était affecté à une section de transport. Le front, il l’a connu en Normandie. « C’est le seul moment où j’ai tiré un coup de fusil », se souvient-il. En août 1944, son unité est engagée dans une offensive qui vise à reprendre un village, Bourg-Saint-Léonard, dans l’Orne. « Elle était occupée par les Américains. C’était une sorte de verrou qu’il fallait faire sauter pour éviter un encerclement des troupes allemandes ». L’attaque est un succès pour les SS mais les Alliés déclenchent une contre-offensive durant laquelle Jean-Pierre évite de peu une blessure, une balle américaine effleurant son bras. « À ce moment-là, j’ai fait comme les autres, j’ai tiré. Mais une seule fois car mon fusil s’est enrayé ! »

    C’est à Bourg-Saint-Léonard que Jean-Pierre est fait prisonnier. « Ce fut un drôle de sentiment. Je me sentais, pour ainsi dire, libéré ! » Captif pendant trois mois, le jeune alsacien va vivre dans plusieurs camps avant d’atterrir au Mans où il est regroupé avec d’autres incorporés de force. Il est libéré le 8 décembre 1944 et s’engage le lendemain dans l’armée française, dans un bataillon de marche puis au 3e régiment de hussards.

     

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    Face à la Résistance

    Évoquer la Das Reich, c’est forcément aborder les exactions de cette division dans le centre et le sud de la France. Après le Débarquement, les régiments Deutschland et Der Führer de la Das Reich vont rester dans le sud afin de lutter contre la Résistance. Une lutte qui s’accompagne de massacres contre la population, en Haute-Garonne, en Ariège, dans le Lot, en Corrèze et Haute-Vienne. La compagnie de Jean-Pierre Tschaen a été engagée une fois dans la lutte contre la Résistance, début juin 1944. « Ma section était restée à l’arrière et avait pour mission de garder le cantonnement dans un village, du côté des Pyrénées. Le reste de la compagnie a lutté contre les maquisards. Je n’ai su que bien plus tard tous ces drames. Nous ne savions pas, par exemple, ce qui s’était passé à Oradour. Pour ma part, j’ai dû attendre le procès de Bordeaux [en 1953] pour en savoir plus ».

    D’ailleurs, la guerre, on n’en parlait pas après 1945. « On était tellement heureux d’être vivant ! Personne, dans mon entourage, ne faisait d’allusion à mon incorporation dans la Waffen SS ».

    La perte des amis sur le front

    Il a longtemps attendu avant de témoigner. Son récit de guerre figure dans un ouvrage de Nicolas Mengus et André Hugel (*) datant de 2008. « Aujourd’hui, je ne ressens plus ce sentiment de revanche que j’avais à l’époque. Cette guerre, c’était une aventure ». Jean-Pierre garde cependant en mémoire ces images qui ont pu le poursuivre. « Une fois, j’ai dû enterrer des morts à Saint-Michel, dans la Manche. Les corps étaient bien mal en point. L’un avait le crâne arraché et l’autre le bas du corps en charpie. J’ai pu reconnaître deux Alsaciens, Ernest Schoeffolt et Jean Meyer, tous deux de Soufflenheim. Ça m’a fait un coup au moral. J’ai déposé des fleurs. Ce fut un moment terrible ».

    D’après les recherches de Jean et Nicole, quelque 1 200 incorporés de force ont participé à la bataille de Normandie et au moins 300 y ont perdu la vie.

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    Elle reconnaît, 30 ans après, celui qui avait menacé son père

    Suzanne a un caractère bien trempé. Pas le genre à se laisser marcher sur les pieds… même à 93 ans ! Celle qui partage la vie de Jean-Pierre Tschaen habitait, pendant la guerre, à la gare de Fréland que géraient ses parents, Ernest Graff et Anne Marie Schmitt. Suzanne se souvient bien de ces journées passées dans la cave durant l’offensive alliée dans les Vosges. Il fallait éviter les bombardements qui pouvaient être meurtriers. Malheureusement, son père en fera les frais, touché, courant décembre 44 par un éclat d’obus. « Il a été évacué à l’hôpital de Saint-Dié où il est resté deux mois mais nous n’étions pas au courant de son état de santé. On a passé Noël sans lui. Nous étions quatre, avec ma mère et mes deux petits frères ».

    « Il vous manque plus que le casque, l’uniforme et le pistolet »

    La guerre a rattrapé Suzanne, bien plus tard. Dans les années 70, sa fille cadette, Martine, reçoit à Ammerschwihr sa correspondante allemande. Les parents de cette dernière décident de lui rendre visite et sont invités par Suzanne et son mari, Martin Florence. « Lorsque j’ai vu cet homme sortir de sa Mercedes de couleur bleu clair - je n’oublierai jamais cette voiture -, je me suis dit que je le connaissais. Et plus je le regardais, plus les souvenirs revenaient ».

    Le repas se déroule sans problème mais au moment du café, Suzanne demande à l’Allemand s’il connaît les Vosges. Il répond par l’affirmative et vante la beauté de la région. Puis c’est là que Suzanne le regarde droit dans les yeux et lui assène sèchement : « Il vous manque plus que le casque, l’uniforme et le pistolet ». Puis elle lui rappelle que durant la guerre il a tenu en joue son père. Cette scène, elle peut la décrire sans problème.

    Durant l’hiver 44/45, la gare de Fréland était occupée par des Allemands. Les troupes d’occupation posent des mines antichars pour freiner l’avancée des Alliés qui se trouvent dans les Vosges et dans certaines vallées alsaciennes comme à Sainte-Marie-aux-Mines. « Un soir, cet homme déplie une carte de la région puis pointe son révolver sur mon père. Il exige qu’il lui montre les positions américaines ». Le père de Suzanne ne cède pas. Puis il essaye de calmer l’homme en lui proposant du schnaps. « L’Allemand lui a répondu d’accord mais il a fallu que mon père boive en premier car il avait peur d’être empoisonné ! »

    Trente ans après, l’ancien sous-officier allemand, face au regard accusateur de Suzanne, a blêmi. « Il s’est senti mal mais il n’a rien dit. Le couple est de suite reparti avec leur fille ». Évidemment, la petite Martine n’a jamais été accueillie en Allemagne par cette famille.

    (*) Entre deux fronts, les incorporés de force dans la Waffen SS , volume 2. Éditions Pierron, 2008. 25 euros.

     

     

     

    Dans le journal l'Alsace

    Un Malgré-nous malgré lui qui, à 96 ans, tient à faire perdurer la mémoire des 103 000 Alsaciens et 31 000 Mosellans contraints par un décret du 25 août 1942, d’effectuer leur service militaire dans l’armée allemande.

    80 ans après, cette date résonne encore comme un coup de massue dans la mémoire de Louis Mutschler. Envoyés sur le front Russe, beaucoup ont fini au camp de Tambov et un tiers d’entre eux ne sont jamais revenus.

    Beaucoup ont gardé le silence pendant des dizaines d’années

    Il aura fallu attendre fin 1945 pour que les rescapés retrouvent leur terre natale. Le traumatisme face aux atrocités vécues étant tel que beaucoup ont gardé le silence pendant des dizaines d’années. Ce fut le cas de Louis Mutschler, qui depuis peu, a décidé de témoigner en posant ouvertement la question « Pourquoi nous a-t-on laissés à notre triste sort aussi longtemps ? ».

     

    80 ans après, Louis Mutschler témoigne en mémoire des incorporés de force

    Comme chaque 1er  novembre à Hindisheim, la commune rend hommage aux victimes et disparus des conflits passés. Cette année, dans le cadre du 80e anniversaire des incorporés de force de la Seconde Guerre mondiale, Louis Mutschler a témoigné.

    Témoignage

     
     
    Louis Mutschler, un ancien Malgré-nous, a témoigné de l’enfer vécu et a souhaité que cela ne se reproduise plus jamais.  Photo DNA

    Il se souvient de ce mois de janvier 1945 où il a été fait prisonnier par les Russes qui lui ont tout pris. Il a juste eu le temps de ramasser une photo de sa famille. Marchant avec de la neige jusqu’aux genoux et dans un froid glacial, il a été conduit avec ses compagnons d’infortune au camp de Wolkowisck.

    « Vers le 10e jour, on a dû se contenter d’une à deux tranches de pain sec »

    « Les 30 et 31 janvier étaient les deux jours des plus durs : beaucoup de prisonniers sont tombés dans la neige pour ne plus jamais se relever et ces morts remplissent la liste des disparus. Au camp, avec un camarade de Colmar, j’étais obligé d’apporter la soupe aux officiers allemands prisonniers comme nous. Au milieu d’une nuit, une grande fusillade éclata : c’était la nuit du 8 mai, la fin de la guerre. On nous a emmenés dans un camp de rassemblement pour être répartis. Le voyage devait durer une quinzaine de jours dans des wagons à bestiaux. Vers le 10e jour, on a dû se contenter d’une à deux tranches de pain sec, puis plus rien à se mettre sous la dent, uniquement un seau d’eau lors de nos arrêts en gare. Je me demande encore aujourd’hui comment je suis arrivé à faire les 5 km de la gare de Rada au camp 188. »

    « Étant reconnu apte au travail, je faisais partie du commando du bois qui sortait dans la forêt couper du bois avec des outils préhistoriques et ramener ce bois au camp pour la cuisine. En août, j’ai eu le typhus. J’ai survécu en pensant à ma chère maman. Je n’avais pas le droit d’abandonner la lutte car j’avais un devoir envers ma famille qui m’attendait. Le 29 octobre 1945, je suis rentré à la maison pour apprendre la plus mauvaise nouvelle : la mort de ma maman. Cette nouvelle a ruiné toute ma joie du retour de l’enfer de la guerre et de la captivité. Cette guerre a coûté la vie à environ 55 millions d’êtres humains, hommes, femmes et malheureusement des enfants. Je lance un appel aux générations futures de tout faire pour sauver la terre et pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus jamais ».

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    À la cérémonie du 1er novembre

    Les Hindisheimois sont venus nombreux, assister à la cérémonie durant laquelle un hommage a été rendu à deux compagnons de la Libération, Laure Diebold-Mutschler, secrétaire de Jean Moulin et Auguste Kirmann, né à Hindisheim, et dont une rue portera son nom. Les musiques patriotiques Le chant des partisans, la Marseillaise et L’hymne européen ont été interprétées par Musique Espérance Saint-Etienne.

    Deux enfants, Diego et Hugo, ont lu les noms des 50 personnes originaires de Hindisheim et décédées ou disparues lors des deux dernières guerres mondiales et lors de la guerre d’Algérie. Après le dépôt de gerbes par les sapeurs-pompiers et Pascal Nothisen, premier magistrat de la commune, puis par les anciens combattants, la cérémonie s’est terminée par l’interprétation de la chanson Il faudra leur dire de Francis Cabrel par les enfants et les chorales, comme un appel à la tolérance et à l’espoir.


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  • Malgré-nous : rencontre avec les trois derniers incorporés de force du village

    Charles, Auguste et Raymond sont originaires de Saint-Hippolyte. Ce sont les trois derniers incorporés de force du village encore vivants.

    Depuis le balcon de la maison d’Auguste Meyer, la vue est imprenable sur la Forêt-Noire. Le nonagénaire vit avec son épouse, Colette, à la sortie de Saint-Hippolyte, sur la route des vins. C’est chez eux que les deux autres compères, Raymond Muhr et Charles Thirion, se retrouvent régulièrement pour boire un verre, parler du temps qui passe et, quelquefois, se remémorer cette période sombre que fut la guerre et ses terribles conséquences pour les jeunes Alsaciens. « On est heureux d’être encore ensemble », livre Charles Thirion né, comme Auguste, en 1925. Raymond, le plus jeune de la bande, a un an de moins. Cet homme au regard bleu azur s’excuse de ne pas bien entendre. « Ma mémoire commence à flancher », dit de son côté Auguste qui, pourtant, jongle encore sans problème avec les dates et les chiffres. C’est lui qui véhicule la joyeuse troupe dans le village.

    Tant qu’il le peut, le trio participe aux cérémonies rendant hommage à ceux qui ne sont pas revenus. Ce fut le cas le 8 mai dernier quand l’association Snifam (solidarité normande avec les incorporés de force alsaciens et mosellans) a tenu son assemblée générale. Les trois anciens combattants se sont retrouvés devant le monument aux morts. « Après-guerre, on avait encore l’espoir de voir nos copains revenir, se rappelle Charles. Aujourd’hui, on pense encore à eux ». Saint-Hippolyte, village posé au pied du château du Haut-Koenigsbourg, a payé un lourd tribut à cette guerre. Plus d’une centaine d’habitants ont été enrôlés de force, près de trente ont été tués. La classe 25, celle d’Auguste et de Charles, a particulièrement été touchée avec huit décès.

     

    « Il jouait La Marseillaise à l’orgue ! »

    Eux sont revenus. Mais à quel prix. « On était des gosses à 18 ans ! » Des gamins qui avaient du courage. Charles par exemple. Comme les autres, il était passé devant le conseil de révision, antichambre du RAD (Reichsarbeitsdienst), à Ribeauvillé. « On est rentré à pied à Saint-Hippolyte. J’ai sifflé La Marseillaise. Malheureusement, le patron de la gendarmerie habitait une maison sur cette route et m’a entendu ». Il a payé son acte de résistance de quelques semaines de prison avant de voir sa date d’incorporation avancée.

    Des gestes suffisent à montrer son attachement pour la France. Une affiche de propagande allemande arrachée et jetée dans un cours d’eau ; des cailloux lancés contre des panneaux de signalisation. « On se demandait ce qu’on pouvait faire contre les Boches, dit Charles. Mais fallait faire attention car il y avait des familles germanophiles ». Auguste cite ce prêtre, l’abbé Bourgeois, patriote jusqu’au bout des ongles. « Il jouait La Marseillaise à l’orgue ! »

    Un colloque à Caen

    À l’initiative de l’Association des Amis du Mémorial de Caen et avec le concours de la Snifam aura lieu, les 27 et 28 septembre un colloque dédié à l’incorporation de force. Plusieurs intervenants (le professeur Jean-Laurent Vonau, les historiens Nicolas Mengus, Philippe Wilmouth, Alphonse Troestler, la journaliste Marie Goerg-Lieby, l’enseignant Eric Le Normand, le fondateur de la Snifam Jean Bézard, les chercheurs Joseph Tritz et Claude Herold, le président de l’Association des Orphelins de Pères Malgré-Nous d’Alsace Moselle Gérard Michel, le président de l’association des amis du Mémorial Alsace-Moselle et l’auteur et metteur en scène Igor Futterer) aborderont différents angles : le changement de souveraineté en Alsace, les modalités de l’incorporation, les Malgré-elles, la résistance des Malgré-nous, l’aide des Normands à l’évasion des incorporés de force, les veuves et orphelins, les arts dans la transmission de la mémoire, le procès de Bordeaux ou encore les recherches sur les disparus.

    « Après le massacre de Ballersdorf, on avait peur »

    Pouvaient-ils échapper à l’incorporation de force ? Raymond et Auguste avaient réalisé un repérage à vélo au col de Sainte-Marie-aux-Mines. « Les Allemands faisaient régner la terreur, insiste Auguste. Ils nous avaient prévenus des conséquences pour nos familles. Et puis après le massacre de Ballersdorf (*), on avait peur ». Cette peur constante, « qui peut comprendre cela aujourd’hui ? »

    Charles sera le premier à partir, en mai 1943. Il a embarqué dans un train à Colmar et a rejoint la Norvège. Puis, son unité, un régiment du génie, a été acheminée en Hongrie où il s’est retrouvé face à l’Armée rouge et ses orgues de Staline. « Le bruit était si impressionnant », se rappelle-t-il. Ses deux amis acquiescent. Tous ont été envoyés sur le front de l’Est. Raymond, comme beaucoup de la classe 26, a dû enfiler un uniforme de la Waffen SS et a été affecté à la 16e division Reichsführer SS. Lui aussi a combattu en Hongrie et se souvient d’affrontements violents autour du lac Balaton. « On était encerclés mais très bien équipés. On a pu s’en sortir ».

    Incorporé le jour de ses 18 ans

    Son unité a également subi les assauts des partisans italiens. « On ne voulait pas tomber aux mains des Russes car on savait qu’avec notre uniforme, c’était la mort assurée ».

    Auguste est le seul à avoir retranscrit son périple commencé le 30 octobre 1943, jour de ses 18 ans. Ce récit, il l’a distribué à sa famille pour qu’ils n’oublient pas ce qu’a pu vivre leur père, leur grand-père. Il a connu son baptême du feu en Pologne lors de combats durant lesquels un de ses amis, Charles originaire de Colmar, a eu le bras arraché. Durant une bonne année, il va partager le destin d’un autre incorporé de force, Polonais, avec lequel il gardera contact après 45. Auguste a failli y rester, ce jour de mars 1945 où un obus tiré par un canon antichar russe a explosé tout près de lui. « Un soldat allemand a eu les jambes déchiquetées et moi, à peine une égratignure sur la nuque ! »

    Auguste se souvient d’avoir croisé des volontaires Français de la division Charlemagne. « Dans mon unité, les soldats allemands ne voulaient plus combattre. C’était des camarades. On était dans le même pétrin ! » Six jours avant la fin de la guerre, le Haut-Rhinois et sa section sont faits prisonniers par les Américains près de Ludwigslust.

    De retour au village un 14 juillet

    Les trois garçons sont donc revenus sains et saufs. Charles se souvient de son père qui, agriculteur, « a tout laissé en plan dans son champ » et s’est jeté dans ses bras. « Il pleurait, il était si content ! » Passé par Paris, Auguste est arrivé en Alsace le 14 juillet. « Je voyais partout des drapeaux tricolores. Tout le monde pavoisait ». À la maison, sa mère l’embrasse, les larmes aux yeux. « Je suis allé de suite chercher notre drapeau que j’avais caché dans le grenier pour l’accrocher à la fenêtre ».

    Aujourd’hui, que réclament-ils ? « Que le sort des incorporés de force ne tombe pas dans l’oubli », répond Auguste qui rend hommage à ceux qui se battent pour faire connaître « ce crime contre l’Humanité ». « On espère qu’un jour, les manuels scolaires feront mention de ce crime ». Ce qui n’est pas le cas.

    (*) Du 17 au 24 février 1943, 18 Alsaciens réfractaires à l’incorporation de force sont fusillés par les Nazis. Leurs familles sont incarcérées à Schirmeck.

    Commémorations

    Ce jeudi 25 août, jour anniversaire des quatre-vingts ans de l’ordonnance concernant l’incorporation de force des Alsaciens, une cérémonie est prévue à 10 h 30, au Mont natio-nal, à Obernai.

    Ce samedi 27 août, le Mémorial Alsace-Moselle, à Schirmeck, organise de son côté, de 14 h à 21 h, une après-midi intitulée « Une lumière pour mon grand-père Malgré-nous ». Des lanternes seront allumées, on pourra découvrir une exposition sur l’incorporation de force en Europe, se faire dédicacer le livre Le retour du soldat malgré lui par Daniel Fischer et Sylvie de Mathuisieulx, voir le film In memoriam, de Benjamin Steinmann, et assister à des conférences de Bernard Linder et Claude Muller.

    SURFER Plus d’informations sur le site internet www.memorial-alsace-moselle.com 

    Bennwihr  Emportés malgré eux dans la tourmente

    Roger Eckert, à peine 17 ans, a dû quitter sa famille le 11 juillet 1944, appelé au service obligatoire, et rejoindre Leipzig où il a suivi une instruction au maniement du fusil de guerre K 98 puisqu’il devait obligatoirement faire l’objet d’une incorporation de force dès son retour.

    Dénoncé par des voisins

    Renvoyé dans ses foyers en novembre 1944, il a reçu l’ordre de se présenter au Wehrbezirkskommando à Colmar pour son incorporation. Sur les conseils de son père, il a décidé de ne pas donner suite à cette convocation en se cachant.

    Dénoncé par des voisins comme déserteur de la Wehrmacht il fut recherché par la Gestapo, à laquelle il put échapper en utilisant de multiples cachettes. Il n’a rejoint Colmar qu’après la Libération.

     

    Armistice en Suisse

    François Nussbaumer, à l’âge de 16 ans, passa un premier conseil de révision et fut classé ajourné temporaire. Le 6 janvier 1945, une patrouille allemande lui remit son ordre de mobilisation auquel il fut contraint d’obtempérer sur-le-champ.

    Après un nouveau conseil de révision, son unité fut présentée à un commandant à Neuf-Brisach avant d’être acheminée à Kollnau près de Waldkirch dans la 19e Armée Allemande où il fut affecté à la compagnie de réparation des véhicules endommagés.

    Son périple sous l’uniforme allemand l’a mené à Constance, à Friedrichshafen, à Garmisch-Partenkirschen, en Autriche et enfin à Imst et Landeck avant de passer par la Suisse où le 8 mai 1945, les cloches ont sonné l’Armistice.

    Enfin, après quelques jours passés en Suisse, un convoi composé de prisonniers de guerre, de STO et de Belges l’a ramené à Annemasse avant de rejoindre Colmar le 17 mai de cette même année.


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  • La belle histoire : Une lettre d'un Malgré-Nous de 19 ans, datée de Noël 1945, resurgit du passé

    Auguste Fega avait 19 ans quand, jeune Malgré-Nous revenu vivant de la guerre, il a écrit une lettre de Noël, bouleversante, à sa famille de Magstatt-le-Bas. C’était en 1945. La lettre a été perdue... Puis retrouvée tout récemment, à Bâle. Une véritable enquête a permis de retrouver ses destinataires.

    Cinthia et Pierre Lang chez eux à Blotzheim. C'est Cinthia qui a trouvé la lettre écrite par un jeune soldat alsacien en 1945. Photo L'Alsace/Darek SZUSTER
     

     

    Bâle, novembre 2021. Des employés de BASF sont en train de déménager des bureaux. Ils déplacent un meuble. C’est alors qu’une lettre surgit du passé. Elle s’est trouvée coincée derrière un tiroir. Elle y a sommeillé durant des années. Elle aurait pu finir à la poubelle. Mais le papier semble ancien. Il y a une date : Weihnachten 1945. Ce n’est pas n’importe quel Noël. C’est le Noël de la paix…

     

    Alors les employés de BASF vont trouver Cinthia Lang. Cette jeune Alsacienne, originaire de Blotzheim, est chargée de la communication interne au sein de l‘entreprise. Elle déchiffre la lettre. Ce n’est pas facile : la graphie de l’époque… Et puis il y a un morceau de ruban adhésif qui, au milieu de la lettre, a bruni, rendant un large passage illisible.

    Cinthia Lang raconte : «Très vite, en lisant, j’ai été saisie par une émotion intense.» Parce que le contenu de la lettre est bouleversant. Que dit son auteur, qui signe simplement Auguste ? Il chante ce «Noël de paix» qui lui fait «oublier la coupe profonde et amère de la guerre, que si souvent nous avons bue». Il sait, lui, «ce que signifie passer Noël en terre étrangère, loin de la maison familiale, loin de son père et de sa mère, privé de toute joie !»

    Cinthia Lang discute avec sa responsable. Elle a carte blanche pour aller plus loin. Elle envoie une photo, puis un scan avec une meilleure résolution, à ses parents. Pierre et Clémence Lang, de Blotzheim, sont férus d’histoire. Eux aussi sentent qu’il y a là une histoire, très belle, et un mystère à élucider. Cinthia Lang poursuit : «Nous nous voyons pour un dîner de famille, mi-novembre. Nous lisons la lettre. Elle raconte la guerre. L’espoir malgré la guerre. Maman, très vite, est sûre qu’il s’agit d’un Alsacien. D’un Malgré-Nous rentré de captivité. La lettre est en allemand, mais il y a ce prénom, Auguste avec un E. Et ces phrases, écrites dans un français parfait, à la fin de la lettre, avec des prénoms francophones…»

    Le coup de pouce du destin

    Mais rien n'est sûr. Il faut chercher plus loin. Pierre Lang a retranscrit ce qu'il pouvait à la main. Le texte est ensuite dactylographié. Avec Cinthia, il se penche une nouvelle fois sur le passage problématique. «Et nous n'y arrivons pas», confie-t-il. Le destin leur donne un petit coup de main, raconte Cinthia. «Nous avons réalisé qu'il y avait, dans la pochette confiée par mes collègues, une photocopie... Lisible, celle-là !» Il est écrit : à Magstatt-le-Bas. «Cela a été un instant de jubilation, poursuit Cinthia. Papa m’a dit : on va le trouver.»

    Ils ont à présent le village, cette litanie de prénoms : Monique, Marthe, Clothilde, Yvonne, Odile et Marie-Jeanne, sans oublier «Tante Mathilde, Oncle Léon et Josef». Ils sont aussi sûrs que la lettre n'a pas été adressée à des parents ou à des frères et sœurs d'Auguste, mais à des proches... Alors Pierre Lang se demande : «Qui est-ce que je connais à Magstatt ?» Il y a Nadoue Caparos, «une copine de classe originaire de Blotzheim, nous étions ensemble au lycée à Saint-Louis ».

    De Blotzheim à Magstatt-le-Bas

    Cette dernière, aussitôt contactée, a été très touchée par la lettre. «Comme tous les Alsaciens, commente-t-elle. J'ai fait le rapprochement avec mon père, Malgré-Nous aussi, qui avait le même âge. Il est revenu du front russe avec une jambe en moins. Avec Auguste, ils auraient pu se rencontrer. Et puis c'est un texte beau, profond. Voilà un jeune homme, Auguste, qui survit à quelque chose d'horrible, qui le marque pour la vie. Et ce qu'il écrit alors à ses proches, avec sa foi, âgé de 19 ans... C'est bouleversant.»

    Mieux : il a suffi que Pierre Lang prononce les prénoms, ce 20 novembre, «pour que cela fasse tilt». Et pour que Nadoue aille trouver Odile Herzog et Marie-Jeanne Muller, deux sœurs qui habitent toujours le village. Elles ont confirmé l’hypothèse : Auguste Fega, de Roppentzwiller, est un cousin de leur mère, Joséphine. C’est bien lui, l’auteur de la lettre. Marie-Jeanne – la petite dernière, dont le prénom apparaît deux fois dans la lettre de Noël 1945 – peut en apporter une autre à Cinthia, écrite dans les années 2000. La graphie est la même. «Il y a ces M très particuliers, et les grands jambages…»

    Sans même parler du contenu des deux textes qui, écrits à quelque soixante années d’intervalle, se ressemblent étrangement. Auguste Fega «était resté très marqué par la guerre. Des anecdotes revenaient, constamment», se souvient Marie-Jeanne qui l’aimait beaucoup.

     

    La lettre égarée

    Restait à découvrir comment la lettre d’Auguste avait bien pu atterrir à Bâle. Cinthia a fait une demande au service du personnel. Elle a fini par trouver Philippe Baumlin, le fils de Monique, une des cousines citées dans la lettre, qui a travaillé pour BASF et qui est aujourd’hui retraité. Elle est arrivée à le joindre. Et le mystère s’est éclairci : c’est bien lui qui a malencontreusement égaré la lettre, transmise par sa grand-mère Maria à Magstatt, pour la rédaction d’une chronique familiale.

    Et Cinthia Lang de raconter : «Nous nous sommes organisés la semaine suivante pour remettre la lettre à Marie-Jeanne et Odile, avec l’accord de l’entreprise.» C’était le premier vendredi de décembre, se souvient Marie-Jeanne.

    Pour les Lang, l’auteur de la lettre de Noël aurait pu être un prêtre, ou un religieux. Marie-Jeanne leur a appris qu’il avait bien été au grand séminaire. Mais qu’il avait en fin de compte fait des études de médecine. «Il a fondé une clinique, à Besançon. C’était un homme bon, qui est resté très attaché à son Alsace natale. Il ne pouvait avoir d’enfants. Il en a adopté trois.»

     

    Message universel d’espoir

    Auguste Fega est décédé en 2005. Son épouse est établie à Besançon. Une de ses sœurs (il était issu d‘une fratrie de cinq enfants) vit encore à Riedisheim. Sa lettre de Noël 1945, elle, est donc symboliquement revenue à Magstatt-le-Bas. «La boucle est bouclée», sourit Cinthia. Tous les maillons de la chaîne qui s’est formée saluent «une formidable aventure humaine».

    Au sein de BASF, où elle a partagé la lettre, «il y a eu des retours incroyables». La force de cette lettre, de son message de Noël, écrit en 1945, l’année de la paix, par un Malgré-Nous alsacien, c’est d’être «un message universel d’espoir qui nous transporte encore aujourd’hui».

     

    Auguste Fega, ici photographié à Mulhouse, est décédé en 2005. DR

    Weihnachten 1945
    Meine lieben All’,
    Die Glocken läuten froh, weit in der Ferne, erst verschallt der laute Klang.
    Weihnachten. Friedensweihnachten! Oh wie tief ins Herz dringt doch dieses Wort und mit Freudestränen eil’ ich mit euch zur Krippe um dort wieder die wahre Freude zu finden, den tiefen bitteren Kelch der Vergangenheit, des Krieges aus dem wir so oft getrunken haben, dort zu vergessen. Was soll ich dem Jesukind verlangen für euch? Wahre Freude, Glück und Segen hiernieden auf dieser Erde möge es euch alle in Magstatt gross und klein von Grand-Mère bis zum Marie-Jeanne in seine Arme nehmen und euch segnen. Danken wollen wir ihm alle dass er uns so gut beschützt hat und zurück geführt hat.
    Wie bitter muss der Schmerz jener sein, die mit ungestillter und hoffnungsloser Sehnsucht noch auf ein Lebenszeichnen ihres Gatten, Sohnes oder Bruder harren. Möge doch das Jesukind heute ihr Herz erfreuen und nur ein einziger Hoffnungsstrahl aufleuchten lassen damit auch sie unsere Weihnachten kennen, mit uns die Freude teilen können.
    Möge es denen, die noch in fremder Erde weilen mit heissem Sehnen den Tag der Befreiung erwarten und heute nicht vor einem brennenden Tannenbaum stehen können, die kleine Flamme der Hoffnung eines Wiedersehens wieder hell aufleuchten lassen und sie bald in ihre Familie zurückführen.
    Ich weiss was es heisst Weihnachten in der Fremde, weit vom Elternhaus, weit von Vater und Mutter, abgetrennt von aller Freude! Nur wer diese Sehnsucht kennt, weiss was leiden heisst. Schwer fällt es mir an den Tag zurückzudenken, heute vor einem Jahr. Weihnachten an der Front! Ich stand auf Posten, allein auf weiter Flur, in finstrer Mitternacht.
    Die Welt war so stille, kein Laut, kein Ton, keine Kugel an der Stund. Traurig sah ich am Firmament nach jener Seite hin, wo am Himmel einige Sterne das Wort Heimat schrieben.
    Ich dachte eure Friedensglocken zu Hause läuten hören, und weit über Feld und Flur mir euer Weihnachtsgruss bringen und zurufen: Frieden den Menschen.

    Als die Ablösung mich wieder in den Bunker zurückriefen Tränen flossen, traurig war mein Herz. War es wirklich nur ein Traum? Oh nein! Im kalten Erdbunker sassen meine Kameraden rund um den armen Tannenbaum. Zwei Kerzlein brennten nur, ein drittes zündete ich an, für euch ihr Lieben in der Heimat. Wir versuchten das «Stille Nacht» anzustimmen. Es klang gar traurig und einsam. Ein jeder dachte an seine Lieben zu Haus.
    Wie eng wurde da das Band, das uns verbindete an dem Tage, an der Stund; ich fand Mut und raffte mich wieder auf, denn ich wusste, dass da, weit in meiner kleinen Heimat, ihr vor der Krippe steht und für mich betet. Heute möchte ich alles vergelten was ihr für mich getan habt. Beten will ich für euch, dass alle eure Wünsche in Erfüllung gehen an einem fröhlichen Weihnachtsfest!
    Und nun zum Jahreswechsel, was soll ich mehr wünschen, als das was ihr euch alle selber wünscht, Gesundheit, wahre Freude und Gottessegen für das kommende Jahr.
    Möge der liebe Gott euch alle noch recht lange gesund beisammen halten. Alles Leid und Kummer entfernen und euch frohe Tage geniessen lassen. Und wer er Prüfungen schickt, möge er euch den Mut geben, sie zu erdulden.
    Rauh ist der Felsenpfad hierunten auf Erden, Herberge unserer kurzen Wanderschaft, alle Freuden dieser Welt sie vergehen, wie der lichtere Blumen Schein, aber himmlisch unvergesslich wird das Irdische einmal dort oben werden.
    Ich habe nichts als Geschenk euch darzubieten, ihr wisst es, doch ein inniges Gebet wird eure Herzen erfreuen. An all’ meine herzlichsten Wünsche schliess’ ich tausend Küsse an euch alle und verbleibe stets eurer

    Auguste

    Monique, Marthe, Clothilde, Yvonne, Odile und Marie-Jeanne: Fühlt euch geküsst, ich liebe auch alle. Alles nur erdenklich Gute für das kommende Jahr.
    Fröhliche Weihnachten und alle guten Wünsche für ein glückliches, gesundes neues Jahr gehen auch an Tante Mathilde, Onkel Léon und Josef.

    Le texte de la lettre traduit en français

    Noël 1945
    Mes très chers tous,
     Les cloches tintinnabulent joyeusement, et leur écho résonne jusque dans le lointain.
    Noël. Noël de paix ! Oh, combien ce mot émeut mon cœur, et c’est en versant des larmes de joie que je me hâte avec vous vers la crèche pour y retrouver la joie véritable et oublier la coupe profonde et amère du passé, de la guerre, que si souvent nous avons bue. Quels cadeaux dois-je demander pour vous à l’enfant Jésus ? Joie véritable, bonheur et bénédiction en ce bas monde, qu’il vous serre dans ses bras et vous bénisse, vous tous à Magstatt, de Grand-Mère jusqu’à la petite Marie-Jeanne. Tous nous voulons le remercier de nous avoir si bien protégés et ramenés parmi les nôtres. Comme doit être amère la douleur de ceux qui, le cœur déchiré, attendent encore un signe de vie de leur époux, fils ou frère. Puisse l’enfant Jésus réchauffer leur cœur et faire briller un unique rayon d’espoir, afin qu’ils puissent eux aussi connaître notre Noël et partager notre joie. Puisse-t-il raviver la petite flamme de l’espoir de retrouvailles chez ceux qui séjournent encore en des contrées lointaines, attendant avec impatience le jour de leur libération, et qui ne peuvent se réunir aujourd’hui au pied d’un sapin brillant. Et puisse-t-il les ramener bientôt dans le sein de leur famille.

     


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  • Journal L'Alsace du 2 décembre 2021

    Concours national de la Résistance et de la Déportation : modification en catimini

    La photo dans la nouvelle plaquette du concours national de la Résistance et de la Déportation illustrant un écrit sur le massacre d’Oradour-sur-Glane par les SS de la division Das Reich avait été critiquée par plusieurs associations alsaciennes. Elle vient d’être changée.

     
    La photo critiquée (ci-dessus) présentait des soldats nazis à Lidice en juin 1942, et non pas à Oradour. Elle a été remplacée par une photo d’un bâtiment ruiné, prise à Oradour.  DR
     
     
     

    Leur courrier, adressé au directeur du mémorial de la Shoah Jacques Fredj, est pour l’instant resté lettre morte mais les responsables des associations mémorielles signataires (*) se satisfont déjà du changement récemment opéré dans la plaquette du concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD).

    Destinée à servir de support pédagogique pour plus de 40 000 collégiens et lycéens qui présenteront cette année ce concours institué en 1961, cette plaquette, téléchargeable mais également imprimée, comportait une erreur de photo et légende qui avait fait réagir lesdites associations.

    En page 18, un article sur le massacre d’Oradour-sur-Glane était illustré par un cliché pris… deux ans auparavant en Tchécoslovaquie, à Lidice , et dont la légende était la suivante : « Soldats allemands et alsaciens devant une maison en feu du village d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944 ». Relevant l’erreur de photo, les signataires se demandaient également comment les rédacteurs de la plaquette pouvaient « distinguer un Allemand d’un Alsacien ».

     

    Toujours dans leur lettre, les associations regrettaient que ce dossier, élaboré par un comité que présidait Tristan Lecoq, inspecteur général de l’Éducation nationale, n’aborde pas la problématique de l’incorporation de force et les spécificités des trois départements français annexés dès 1940 par le régime nazi au vu du thème du concours : « La fin de la guerre. Les opérations, les répressions, les déportations et la fin du IIIe Reich (1944-1945) ».

     

    Un feuillet volant dans les plaquettes

    En catimini, la photo a été changée et montre désormais un bâtiment du village de la Haute-Vienne ruiné avec une légende appropriée (« Le village martyr d’Oradour, victime de la division SS Das Reich »). Selon Tristan Lecoq, un mauvais archivage de la photo dans le fonds du Mémorial de la Shoah serait à l’origine de cette erreur. L’inspecteur général précise qu’un feuillet volant mentionnant cette erreur sera inséré en page 18 dans les plaquettes imprimées.

    Enfin, sur le dernier point, Tristan Lecoq ne s’oppose pas à un enrichissement de la présentation du CNRD en ajoutant des éléments sur les importantes opérations militaires, les répressions contre les résistants et les déportations dans les trois départements annexés. Un ajout que l’on retrouverait sur le site internet de l’académie de Strasbourg. Il propose en outre un lien du site national du CNRD vers ce dernier. Selon Marie Goerg-Lieby, président de l’Aeria, l’inspecteur général estime que « les événements régionaux ne peuvent pas être cités [dans la brochure du CNRD] mais il appartient aux autorités académiques et aux historiens de décliner le thème national ».

    (*) L’Aeria (association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens), les Amis du mémorial Alsace-Moselle, l’association des pupilles de la nation et orphelins de guerre d’Alsace (Apoga), les délégations haut et bas-rhinoises de la fondation pour la mémoire de la déportation, l’Opmnam (orphelins de père Malgré-nous d’Alsace-Moselle).

     Journal L'Alsace du 24 novembre 2021

    77 ans après, il apprend que son frère a été sauvé en Normandie

    Grâce à un article de presse, Jean Thomas, habitant de Drusenheim, a appris que son frère, incorporé de force, avait été sauvé par des Normands en 1944, quelques mois avant son décès en Allemagne.

     
    Marie-Louise et Jean Thomas avec l’album familial et l’unique photo d’Albert Thomas qu’ils conservent.  Photo DNA /Nicolas ROQUEJEOFFRE
     
     
     

    Quand, le 24 août dernier, Jean Thomas lit les DNA et tombe sur le dossier consacré aux incorporés de force, sauvés par des familles normandes après le Débarquement , il n’en croit pas ses yeux. Il se penche plus particulièrement sur l’histoire de la famille de Maurice Orvain qui recueille un certain… Albert Thomas, son frère ! « Après tant d’années, j’ai appris qu’il avait combattu en Normandie et avait été recueilli par des habitants de Montigny », témoigne Jean, qui réside à Drusenheim. « Ce fut une grande surprise pour lui ; il était particulièrement ému », souligne son épouse, Marie-Louise.

    Dans la foulée, Jean cherche à joindre Maurice Orvain qui, en 1944, avait 6 ans. C’est sa maman qui a pris l’initiative de cacher Albert Thomas dans sa ferme. Ce dernier, accompagné d’un autre incorporé, Charles Rohner, s’était échappé de son unité -rattachée à la 12e division SS Hitlerjugend- et avait frappé à la porte de la mairie de Montigny, dans la Manche. L’instituteur de la commune, membre d’un réseau de résistance, et le maire, décident de les cacher. Les deux hommes troquent leurs uniformes contre des habits civils et se réfugient dans deux fermes. Thérèse Orvain récupère Albert Thomas qui devient journalier agricole. Alors que la bataille de Normandie fait rage, un état-major allemand investit la ferme des Orvain. Sentant le danger, Albert Thomas quitte Montigny.

    Maurice Orvain devant la ferme où Albert Thomas a pu se réfugier durant l’été 1944.   Photo DNA /DR

    « Ne pars pas, tu ne reviendras plus… »

    L’Alsacien avait été enrôlé de force en 1944. « Le seul souvenir que j’ai de lui, c’est lors de son départ, se rappelle Jean, qui n’avait que quatre ans. Je le vois encore sur le perron de notre maison, en civil, dire au revoir à notre mère et à ma sœur. Il y avait aussi ma grand-mère paternelle qui lui a dit : “Ne pars pas, tu ne reviendras plus…  ». Paroles prémonitoires. Car, si Albert arrive à s’extirper des griffes de la SS grâce à la famille Orvain, c’est en Allemagne, quelques mois plus tard, qu’il trouve la mort. « Il nous cherchait sûrement. Notre famille [en plus d’Albert, la fratrie compte trois garçons -Fernand, Pierre, Jean- et une fille, Madeleine] avait été évacuée en Allemagne avec l’offensive des Alliés. On s’est retrouvé en Haute-Bavière puis dans un village près d’Offenbourg ».

     

    Albert Thomas meurt, victime de l’explosion d’une mine, en mai 1945 à Freistett. « Mon père ira récupérer sa dépouille pour qu’il soit enterré à Herrlisheim », indique Jean.

    Albert Thomas.   Photo DR

    « On se recueillera sur la tombe d’Albert »

    Quand Maurice a reçu le coup de téléphone de Jean, il en a pleuré. « Il ne savait rien de cette histoire ! », s’exclame le Normand qui, symboliquement, a posé sur une commode de sa maison la photo d’Albert Thomas. « Je l’ai invité à venir en Normandie. On viendra en Alsace l’an prochain, promet Maurice Orvain, et on se recueillera sur la tombe d’Albert ». Jean Thomas espère pouvoir faire le voyage à Montigny en 2022 avec sa fille.

     

    Journal L'Alsace du 21 novembre 2021

    « Soldats alsaciens à Oradour-sur-Glane », la légende photo qui ne passe pas

    Dans la dernière plaquette du concours national de la Résistance et de la déportation, document sur lequel vont s’appuyer des milliers de collégiens et lycéens, une erreur concernant une photo et sa légende ont fait bondir les associations mémorielles alsaciennes.

    Des milliers de collégiens et lycéens vont s’appuyer sur cette plaquette pour préparer ce concours. Photo archives DNA
     
     
     

    Cette photo, dont la légende suscite la polémique, Claude Herold l’avait déjà vue. Il a mis quelques heures avant de retrouver sa trace sur internet. « Elle a été prise le 10 juin 1942 en Tchécoslovaquie, dans le village de Lidice » , soutient celui qui s’est spécialisé dans la recherche de sépultures d’incorporés de force portés disparus. Plusieurs sites spécialisés référencent d’ailleurs ce cliché où l’on voit des soldats allemands poser devant une maison en feu. Ce jour-là, un détachement de SS pénètre dans ce village de Bohême-Centrale et, en représailles à l’attentat contre le gouverneur de Bohême-Moravie, Reinhard Heydrich, assassine plus de 260 adultes, les autres habitants, femmes et enfants, sont déportés. Lidice est ensuite incendié puis rasé.

    La photo est en page 18 de la nouvelle plaquette du concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD) éditée par le Mémorial de la Shoah qui a assuré le pilotage de ce dossier. Un dossier élaboré par un comité que présidait Tristan Lecoq, inspecteur général de l’Éducation nationale. Institué en 1961, ce concours, ouvert aux collégiens de 3e et aux lycéens, porte cette année sur « La fin de la guerre. Les opérations, les répressions, les déportations et la fin du IIIe Reich (1944-1945) ».

    La plaquette arbore sous cette photo la légende suivante : « Soldats allemands et alsaciens devant une maison en feu du village d’Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944. » © Mémorial de la Shoah
    La plaquette arbore sous cette photo la légende suivante : « Soldats allemands et alsaciens devant une maison en feu du village d’Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944. » © Mémorial de la Shoah

    « Soldats allemands et alsaciens… »

    La photo de Lidice illustre un petit article sur le massacre d’Oradour-sur-Glane par la division SS Das Reich le 10 juin 1944. Ce qui fait dire à Claude Herold que les rédacteurs ont sûrement confondu les deux événements qui se sont déroulés à la même date mais à deux ans d’intervalle. La légende, en revanche, l’a fait bondir.  « Soldats allemands et alsaciens devant une maison en feu du village d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944 ». Et il n’est pas le seul à avoir tiqué.

     

    Président de l’Opmnam (orphelins de père Malgré-nous d’Alsace-Moselle), Gérard Michel a adressé un courrier au directeur du Mémorial de la Shoah, Jacques Fredj, qui signe la préface dans la plaquette du CNRD. Si ce dernier ne conteste pas la présence d’incorporés de force alsaciens à Oradour, il questionne : « La nationalité des soldats n’est pas précisée sur leur vareuse ni sur leur casquette. […] Sachant que la division Das Reich était composée des nationalités allemande, ukrainienne, autrichienne, norvégienne, croate, belge, russe et polonaise, pourquoi ne citer que les origines allemande et alsacienne ? »

    « Un doute inadmissible » et « occasion manquée »

    L’association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (Aeria), présidée par Marie Goerg-Lieby, estime que cette légende est « incompréhensible » et « laisse planer un doute inadmissible pour un livret de transmission de l’Histoire ». Son courrier, adressé à la fois à la ministre déléguée Geneviève Darrieussecq et à Jacques Fredj, est cosigné par de nombreuses associations (dont les Amis du mémorial Alsace-Moselle, l’association des pupilles de la nation et orphelins de guerre d’Alsace ou encore les délégations haut et bas-rhinoises de la fondation pour la mémoire de la déportation).

    Tout comme l’Opnam, l’Aeria estime navrant que la thématique de cette année -la fin de la guerre- occulte la « spécificité des trois départements français qui, par l’annexion de fait, ont subi la nazification forcée ». « L’administration civile était nazie sur ce territoire français ; les condamnations à l’emprisonnement, à la déportation et à la mort pour tout acte considéré comme hostile au IIIe Reich et jusqu’aux derniers massacres et combats violents se prolongeant jusqu’en mars 1945 sont des caractéristiques qui appartiennent à notre histoire nationale ».

    Les associations alsaciennes soulignent cette « occasion manquée » d’expliquer aussi ce que fut l’incorporation de force de quelque 140 000 hommes et femmes. Elles demandent « de réaliser un complément sous la forme d’une annexe pédagogique, téléchargeable, sur les sites de l’Éducation nationale et du Mémorial de la Shoah ». Et, a minima, la correction de l’erreur concernant la photo.

    Contacté, le Mémorial indique que le dossier a été transmis à ses historiens.

    Journal l'Alsace du 15 novembre 2021

    Marie Muller-Uter, une femme dans la Résistance

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, Marie Muller-Uter, dont la famille est originaire de Kilstett, s’est illustrée dans la Résistance. Capturée, elle a vécu de longues années en déportation.

    Par Véronique MULLER - 
    Marie Muller-Uter a été arrêtée en 1942.  Document remis
     
    Marie Muller-Uter a été arrêtée en 1942.  Document remis

    Marie Uter a vu le jour à Schalbach, en Moselle, le 15 août 1901. La fratrie compte sept enfants qui grandissent sous la seule vigilance de leur mère, originaire de Kilstett près de Strasbourg, le père ayant été tué alors que Marie n’avait que 9 mois.

    À 21 ans, cette dernière se marie à Strasbourg et s’installe avec son époux à Wissembourg. Elle est couturière et très appréciée pour ses talents de brodeuse.

    De la Résistance à la déportation

    En septembre 1939, la guerre fait irruption dans sa vie. Marie Muller et son époux sont évacués en Haute-Vienne, puis dans le Lot-et-Garonne. Après l’Armistice du 22 juin 1940, les autorités allemandes exigent le retour des évacués de 1939 ; la famille est de retour à Wissembourg en septembre 1940.

     

    En 1941, Marie est approchée par son amie Marie Gross afin d’aider à cacher et convoyer hors de l’Alsace annexée des prisonniers de guerre et des jeunes Alsaciens craignant l’enrôlement de force.

    Elle les loge dans son foyer, les nourrit, les soigne et les habille avec la complicité de son époux et de son fils. Aux voisins, elle dit parfois accueillir des cousins lorrains ne parlant que français.

    Elle en accompagne certains à Strasbourg, jusqu’à l’auberge À l’Ancienne Gare, où elle les remet à la filière des Pur-Sang formée en 1940 par six jeunes filles Guides de France.

    Le 28 février 1942, l’une des Pur-Sang est contrôlée dans un train par les douaniers. À son domicile, on découvre les noms de tous les membres du réseau, qui sont arrêtés tour à tour. Marie est appréhendée chez elle à Wissembourg le 24 avril 1942 et conduite, par la Sipo ( Sicherheits-polizei ), à Strasbourg où elle est écrouée le lendemain.

    Le 21 mai, elle est transférée au camp de sûreté de Schirmeck-Vorbruck où elle est internée huit mois.

    Le 26 janvier 1943, le premier Sénat du Volksgerichtshof de Berlin, présidé par Roland Freisler – nommé par Hitler lui-même – se réunit à Strasbourg. Ce procès mémorable se veut un exemple pour dissuader la population de toute velléité de résistance. Face au président du tribunal et à cinq juges, devant une salle comble, se tiennent onze accusés, dont Marie. Cinq d’entre eux sont condamnés à mort, Marie est condamnée à 10 ans d’emprisonnement et à la perte de ses droits civiques.

    Le 5 février, elle est déportée en Allemagne et est enfermée à la forteresse de Ziegenhain près de Bonn. Là, douze heures durant, sept jours sur sept, elle est obligée de coudre des sacs à s’en meurtrir les doigts. Jour après jour, les mois, puis les années passent. Elle ne sait pas ce que sont devenus les siens. Les conditions sont rudes, les condamnés politiques sont mêlés aux prisonniers de droit commun.

    Début 1945, lueur d’espoir : les Américains avancent. Le 26 mars, la prison est évacuée en urgence et les détenus enfermés dans des wagons à bestiaux. Le train entame un périple de plusieurs jours sous les bombardements, sans destination précise. Affamés, assoiffés et terrifiés, les prisonniers sont couchés à même le sol des wagons qui les protègent à peine du froid insupportable de ce début de printemps.

    Le convoi, après plusieurs détours, stationne près d’une semaine sur le quai de déchargement du camp d’extermination de Bergen-Belsen, qui refuse, heureusement pour eux, d’accepter ces nouveaux venus. Il reprend enfin son voyage et parvient, le 5 avril, au camp de concentration de Fuhlsbüttel à Hambourg. Les malheureux ne sont pas libérés pour autant.

    Marie souffre du typhus et est admise, mi-mai, à l’hôpital de Hambourg-Langenhorn.

    Très amoindrie par ses 38 mois de privations, elle est finalement libérée le 6 juin 1945 par les alliés.

    Marie a vécu à Wissembourg jusqu’à son décès en 1971, usée par les épreuves épouvantables endurées durant ses années de captivité.

    Elle a été décorée de la Croix de guerre avec étoile de vermeil, de la médaille de la Reconnaissance française, de la Médaille militaire, du Mérite national, de la Croix du Combattant volontaire de la guerre 1939-1945 et a été reçue chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire.

    Son ascendance alsacienne

    Sa mère, Louise, était née à Kilstett (la maison existe toujours), cadette des douze enfants du couple Daniel Griesbach, maçon, et Hélène Weber. Une grande partie de la famille s’est installée, tout comme elle, en Moselle où vivent encore des descendants. L’ascendance parmi les Griesbach, Herrmann, Veltz, Hommel, Hörnel, Lentz, Kress, entre autres patronymes, continue à Kilstett, où elle est difficile à poursuivre en raison de l’absence des registres paroissiaux dès le XVIIIe  siècle. À La Wantzenau, en revanche, on peut la remonter quatre générations de plus jusqu’au milieu du XVIIe  siècle, parmi les Laas, Schutz, Deutsch, Ursch…

    Journal L'Alsace 25 août 2021 :

    Souvenir/Cérémonie pour les Malgré-nous au Mont-Ste-Odile « Vois à tes pieds, réunis, les fils de ta Province… »

     
     Jean Rottner, Gérard Michel, président de de l’OPMNAM (association des Orphelins de Pères Malgré-Nous d’Alsace Moselle). 
     
     malgre nous obernai sainte odile guerre mondiale
     

    Un vent froid balaie la terrasse nord de l’abbaye du Hohenbourg. Et emporte vers la statue de sainte Odile qui le surplombe le serment que martèle une petite assemblée. « Sainte Odile, patronne vénérée de notre Alsace, Vois à tes pieds, réunis, les fils de ta Province, Les mobilisés de force, les Évadés, les Prisonniers, Ceux qui ont survécu à l’abominable guerre. Écoute ce qu’ils te disent, pour eux-mêmes, Pour leurs familles et leurs camarades sacrifiés », récite la soixantaine de personnes présentes : porte-drapeaux immobiles, représentants et adhérents d’associations, élus. Sur les dernières rangées de bancs, quelques visiteurs des lieux se sont arrêtés, posant sac à dos et bâtons de randonnée pour s’asseoir et écouter.

    « Le devoir de comprendre, le devoir d’expliquer »

    « Nous avons le devoir de comprendre, le devoir d’expliquer. Nous, Alsaciens, avons dans nos gênes le devoir de perpétuellement faire comprendre [l’incorporation de force]. La faire comprendre aux Français de l’intérieur, aux Allemands, et parfois aussi aux Alsaciens eux-mêmes », dit à la tribune Jean Rottner, président de la Région Grand Est, qui a tenu à se déplacer pour « ce moment important ». Le sujet, explique-t-il, le touche personnellement : « l’oncle de ma mère n’est jamais revenu. Parfois, pendant les repas de famille, on me demandait de quitter la pièce. On ne parlait pas de cela devant les enfants. Il a fallu que je chemine moi-même pour comprendre le drame des Malgré-nous. »

    L’homme se souvient « de la douleur de [sa] grand-mère qui ne savait pas où son frère avait disparu », l’homme politique insiste sur l’importance de rappeler que « la cause de tout cela c’est le nazisme, ce régime qui a décidé de l’extermination de certains, de l’incorporation d’autres, qui a décidé de l’élimination humaine. Et cela il faut le rappeler. L’antisémitisme, la peste brune, sont toujours là. C’est un message extrêmement contemporain qu’il faut adresser à certains qui ont tendance à l’oublier. »

     

    Servir la France et « son idéal de justice et de dignité humaine »

    C’est cette « odieuse tyrannie » de la guerre que les incorporés de force rappelaient dans leur serment de 1956. « Nous proclamons l’unité du drame Alsacien et Mosellan, Nous affirmons que l’épreuve de la guerre étrangère n’a pas vaincu ni entamé notre foi patriote Et que nous lutterons pour le triomphe de cette vérité. Fils fidèles et dévoués de ce terroir, nous faisons ce serment solennel. De vous toutes nos forces, nos actions, nos pensées, à notre seule patrie, la France. Et de servir sans restriction son idéal de justice et de dignité humaine. » Récitant ces mots, Gérard Michel, président de l’OPMNAM (association des Orphelins de Pères Malgré-Nous d’Alsace Moselle, qui a co-organisé cette cérémonie), écrase une larme. Elle n’est pas due au vent.

    Journal L'Alsace 24 août 2021 :

    Normandie : la grande évasion d'incorporés de force alsaciens à l'été 1944

    Plus de mille Alsaciens et Mosellans ont été engagés sur le front de Normandie en juin/juillet 1944. Incorporés de force dans l’armée allemande, plusieurs dizaines d’entre eux ont réussi à s’évader, aidés par des familles normandes. Une histoire qu’un couple du Calvados s’échine à faire connaître.

    Cette histoire dans l’Histoire a été révélée par le travail d’une association, la SNIFAM (Solidarité normande avec les incorporés de force d’Alsace et de Moselle), créée à l’initiative de Jean Bézard et Nicole Aubert, un couple qui habite à Saint-Aubin-sur-Mer, dans le Calvados, commune en bord de mer, donnant sur Juno beach.

    L’incorporation de force dans les armées du IIIe Reich des Alsaciens et Mosellans entre 1942 et 1945 est un pan de l’Histoire peu connu en France en dehors des trois départements concernés.

    Selon les dernières recherches menées par les historiens, elle a concerné 127 500 Français, soit 21 classes en Alsace et 14 en Moselle. Quelque 15 000 femmes âgées de 17 à 22 ans sont également incorporées. Soit un total de 142 500 hommes et femmes.

    Dans son dernier ouvrage, Les Malgré-nous, l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l’armée allemande (2019, édition Ouest France), Nicolas Mengus indique que 30 400 sont morts ou portés disparus (chiffre actualisé grâce aux recherches en lien avec le projet avorté du « mur des noms » mais sûrement sous-estimé) et 30 000 reviendront en France, blessés ou invalides.

    L’incorporation de force ne concerne pas que la France rappelle l’historien. L’Allemagne nazie a enrôlé de 295 000 à 750 000 Polonais, 39 000 Slovènes, 9 100 Luxembourgeois, 8 000 Belges.

    En Alsace-Moselle, le Reichsarbeitsdienst (RAD), service du travail du Reich, introduit en Alsace le 8 mai 1941 va préparer le terrain à l'incorporation de force. A cette époque, le Gauleiter Robert Wagner, qui administre l’Alsace, annonce que tous les Alsaciens de 17-25 ans, hommes et femmes, « peuvent être appelés au RAD ». Les premiers conseils de révision concernant les garçons de la classe 1922 et les filles de la classe 1923, se tiennent dès le mois d'août.

    En août 1942, Wagner et Josef Bürckel, administrateur de la Moselle, obtiennent de Adolf Hitler, lors de la conférence de Vinnitsa, d’imposer le service militaire obligatoire. Le 26 août 1942, les Strassburger Neueste Nachrichten et le Mülhauser Tagblatt publient les décrets signés la veille par Robert Wagner. Le service devient obligatoire pour les jeunes gens d'Alsace « appartenant au peuple allemand ».  Josef Bürckel avait signé le 19 août l'ordonnance sur la conscription mais elle ne sera annoncée que le 29.

    Les incorporés de force vont essentiellement intégrer la Wehrmacht (la Wehrmacht-Heer, la Luftwaffe et la Kriegsmarine) mais plusieurs milliers d’entre eux se retrouveront dans la Waffen SS. Ils vont combattre, pour leur grande majorité, sur le front de l’est mais après 1943, on les retrouve sur les autres fronts (Europe de l’est, du nord, Italie, France).

    Le 6 juin 1944, le Débarquement des troupes alliées en Normandie ouvre un premier front en France. 

    Démarre la terrible bataille de Normandie, qui va durer jusqu’à fin août 1944 avec la fermeture de la poche de Falaise. Nom de code opération Overlord, c’est l’un des plus grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale.

    Durant ces combats, on estime à plus de 1200 le nombre d’Alsaciens et Mosellans engagés dans cette bataille dont 800 dans la Waffen SS.
    Trois cents seront tués et quelque 200 d’entre eux vont réussir à s’évader. 

    Cette histoire dans l’Histoire a été révélée par le travail d’une association, la SNIFAM (Solidarité normande avec les incorporés de force d’Alsace et de Moselle), créée à l’initiative de Jean Bézard et Nicole Aubert, un couple qui habite à Saint-Aubin-sur-Mer, dans le Calvados, commune en bord de mer, donnant sur Juno beach.

    Depuis plus d'une décennie, Jean Bézard et Nicole Aubert recueillent les témoignages de Normands et d'Alsaciens.

    L'histoire de Bernard le Bois
    et de Georges Adam

    Bernard le Bois avait 16 ans en 1944. Il habitait dans un lieu-dit, La Herbinière, sur la commune de Montabot dans la Manche.

    Alors que le Débarquement a eu lieu depuis plusieurs jours, une compagnie de Waffen SS prend possession de la ferme des parents de Bernard. Les gradés logeaient dans un fournil qui n'existe plus aujourd'hui et les soldats s'entassaient dans une dépendance.

    Un jour, la compagnie part au front près de Saint-Lô, à Saint-Georges-Moncocq. A leur retour, Bernard le Bois entend les rescapés dirent "kaputt, kaputt !"

    Après cette bataille, Georges Adam décide de déserter. La famille le Bois lui procure des habits civils. "On a enterré son uniforme et son fusil", se souvient le Normand.

    L'Alsacien et ses sauveteurs quittent le village et grossissent les cohortes de réfugiés. Ils se retrouvent dans le Calvados. le 3 août 1944, ils apprennent qu'ils sont libérés. Georges Adam se rend aux Américains à qui il raconte son histoire. Pris pour un espion, il est emprisonné dans un camp près de Cherbourg. L'Alsacien, originaire de la région de Saverne, ne recontactera jamais la famille le Bois.

    L'histoire de Maurice Orvain
    et des Alsaciens Albert Thomas et Charles Rohner

    Au printemps 1944, deux Alsaciens portant l'uniforme allemand se rendent à la mairie de Montigny dans la Manche. Ils sont reçus par l'instituteur du village, secrétaire de mairie et résistant.

    L'histoire ne s'arrête pas là. Quelques jours après la Libération du village, la mère de Maurice Orvain est accusée par trois soldats américains d'avoir accueilli et protégé un soldat allemand...

    Les Normands ne reverront jamais les deux Alsaciens au tragique destin. Albert Thomas décèdera le 2 mai 1945, par l'explosion d'une mine en Allemagne. Et Charles Rohner succombera en novembre 1946 de tuberculose.

    L'histoire de Simone Levée et des trois incorporés cachés dans la grange familiale

    Simone n'a que 14 ans lorsque, en pleine bataille de Normandie, des troupes allemandes occupent la ferme familiale située près de Tinchebray, au sud-est de Vire dans l’Orne.

    Vers la mi-août 1944, alors que les Allemands ont quitté la ferme, la famille de Simone découvre, dans le grenier d'une écurie, trois soldats en uniforme allemand. Ils étaient restés depuis trois jours sous la toiture, sans boire ni manger.

    Simone n'entendra jamais plus parler de ces trois hommes. Mais leur souvenir est toujours gravé dans sa mémoire: "Des histoires de jeunesse comme ça, ça marque à vie !"

    L'histoire de Louis Bloch
    et de la famille Bagot

    Louis Bloch est né en mars 1915 à Seppois-le-Haut dans le Haut-Rhin. Il effectue son service militaire de 1936 à 38 et est rappelé en 1939. Il participe à la bataille de France.

    Il est incorporé de force en 1943 et il est envoyé sur le front de l'est (Pologne, Tchécoslovaquie, URSS) puis son unité rejoint la France et la Normandie. Alors que sa compagnie stationne près de la commune du Mesnil-Tôve dans la Manche, Louis Bloch décide de s'évader.

    Alors qu'il est envoyé à la mairie du Mesnil-Tôve, vers la mi-juillet 1944, pour récupérer des victuailles, Louis Bloch demande au maire, Jules Bagot, de l'aider à se cacher. Ce dernier lui procure des habits civils et l'emmène à sa ferme où il devient ouvrier sur l'exploitation.

    "Jamais les Allemands ne l'ont cherché", se rappelle Marin Bagot, 21 ans à l'époque, fils de Jules Bagot. "Peut-être ont-ils pensé qu'il avait été tué."

    La situation se tend lorsque des officiers supérieurs nazis prennent possession de la ferme pour y loger. Ils préparent une contre-offensive dont l'objectif est d'isoler la tête de pont de l'armée Patton. Louis Bloch entend leur conversation et prévient les Bagot. Marin et Louis décident de rejoindre le QG américain et pour cela ils franchissent le front. Louis Bloch permet de déjouer les plans allemands.

    Les deux hommes se sont revus après guerre. Bien plus tard, Marin Bagot recevra un certificat de la part du 1er bataillon du 39e régiment d'infanterie pour "service exceptionnel rendu à l'armée des Etats-Unis".

    Si la SNIFAM n'a vu le jour qu'au début des années 2010, Jean Bézard et Nicole Aubert s'intéressent au sujet de l'incorporation de force depuis près de vingt ans.

    L’intérêt de Jean Bézard pour l’incorporation de force s’explique par une rencontre en juillet 1944 avec un Alsacien à peine majeur, sûrement tué lors des terribles combats de La Haye du Puits.

    Jean Bézard explique pourquoi les Normands ont aidé les Alsaciens, essentiellement dans les milieux ruraux, où stationnaient les troupes allemandes.

    Avec la disparition des derniers témoins, la SNIFAM souhaite s'engager dans un travail de devoir de mémoire.

    Journal L'Alsace :

    Alsaciens et Mosellans portés disparus : la quête du Turckheimois Claude Herold

    Les descendants de quelque 16 000 Alsaciens et Mosellans, morts durant la dernière guerre, ne connaissent pas le lieu d’inhumation de ces incorporés de force. Claude Herold se charge de trouver ces sépultures, souvent avec succès.

     
     Dans son étroit bureau, Claude Herold navigue sans peine. Des dizaines de classeurs peuplent ses étagères qui couvrent un mur entier. Il met peu de temps à chercher le dossier de tel ou tel incorporé de force porté disparu. C’est son domaine les Malgré-nous dont on n’a jamais retrouvé le corps. Selon des documents de la Croix-Rouge allemande, il y aurait 1,3 million de soldats de la Wehrmacht disparus dont 16 000 Alsaciens et Mosellans sur quelque 30 400 victimes (*).

    La Croix-Rouge a réalisé, après-guerre, des listes exhaustives dans lesquelles on trouve le régiment du militaire, son nom et prénom, sa date de naissance, le dernier lieu où il a été aperçu et, souvent, sa photo. Claude Herold s’est servi de cette masse d’informations pour extraire les données des 16 000 Alsaciens et Mosellans.

     

    Des centaines de dossiers élucidés

    Mais il ne se contente pas de les répertorier. Il enquête. Généralement à la demande des familles qui souhaitent identifier le lieu de sépulture de leur ancêtre. « Ce sont des petits-enfants, quelquefois des arrière-petits-enfants, des neveux qui nous contactent », confirme le sexagénaire qui réside à Turckheim. Le « nous » comprend d’autres passionnés de cette histoire bien particulière comme Patrick Kautzmann ou encore Nicolas Mengus, créateur d’un site spécialisé sur l’incorporation de force qui joue les intermédiaires entre les familles et Claude Herold.

    Des centaines de cas ont pu être élucidées grâce à la ténacité de l’Alsacien qui a su se constituer des réseaux efficaces, notamment en Allemagne. Pour arriver à ses fins, il jongle avec les dossiers du bureau des archives militaires à Caen et avec ceux de la Deutsche Dienststelle (la Wast, désormais Bundesarchiv).

    Mort en Normandie… et en Russie !

    Récemment encore, il a pu définir le lieu d’inhumation (un cimetière de Pilsen en République Tchèque) d’Yvonne Keil, une Alsacienne qui effectuait son RAD (Reichsarbeitsdienst) près de Munich et qui, grièvement blessée à la suite du mitraillage d’un train au bord duquel elle circulait, est décédée dans un hôpital tchécoslovaque en juin 1945.

    Il tombe quelquefois sur des dossiers particulièrement étonnants. Comme celui de François Schuster, né en 1926 à Hochfelden. Incorporé dans la Waffen SS, il combat au sein de la Das Reich. Or, selon les archives, il serait mort à la fois lors des combats contre l’armée Patton, hypothèse française, et lors d’une retraite sur le front de l’est selon les Allemands ! Qui dit vrai et où se trouve le corps ? L’enquête est en cours et Claude attend beaucoup d’un dossier que la Croix Rouge doit lui transmettre.

    Décédé à deux reprises

    Autre énigme, celle d’Albert Schrenck, qui serait mort à deux reprises selon les archives françaises. « C’est son neveu qui m’a demandé des informations. J’ai contacté Berlin qui m’a permis de résoudre cette histoire. Caen a en réalité mélangé deux dossiers : celui de l’Alsacien Schrenck et celui d’un Allemand appelé Eduard Schreck ! Ce dernier est mort dans les Vosges en octobre 44 et l’Alsacien est décédé en septembre 44 à Iwla, en Pologne. Aucune tombe n’est répertoriée à son nom ».

    Il y a aussi de belles histoires. « Pendant des décennies, la famille de Xavier Pfost a cru que le corps de ce jeune homme, mort durant une traversée entre Sébastopol et la Roumanie, avait été jeté dans la mer Noire, raconte Claude Herold. La veuve du défunt était encore vivante lorsque j’ai pu indiquer à sa fille, à l’origine de la demande de recherche, que son père avait été inhumé en Roumanie, dans un cimetière géré par le VDK [Volksbund Deutsche Kriegsgraberfursorge, l’organisme allemand en charge de l’entretien des tombes] ».

    Patrick Kautzmann devant la tombe de Xavier Pfost, retrouvée en Roumanie.   Photo DR

    Trois oncles disparus

    Le dossier de ses oncles, Ernest, Albert et René, lui tient évidemment plus particulièrement à cœur. D’ailleurs, c’est cette histoire familiale qui l’a poussé à se pencher sur le cas des portés disparus. René ne l’est plus, Claude ayant réussi à déterminer son lieu d’inhumation : un vaste espace mémoriel en Italie. L’enquête suit son cours pour les deux autres Malgré-nous. « Albert a disparu en Pologne en janvier 45 et Ernest est mort au combat dans un village au nord de Pleskau en septembre 1944 et laissé sur place par ses camarades qui ont battu en retraite ». Tenace, Claude Herold ne lâchera pas l’affaire.

    (*) Dans l’ouvrage « Les Malgré-nous », l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l’armée allemande » (2019, édition Ouest France), l’auteur Nicolas Mengus rappelle ces chiffres : 142 500 incorporés de force dont 15 000 femmes. 30 400 morts ou portés disparus (chiffre actualisé grâce aux recherches en lien avec le projet avorté du « mur des noms » mais sûrement sous-estimé) et 30 000 blessés ou invalides.


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  • Du journal L'Alsace

    Les mémoires d’un Malgré-nous, entré à 18 ans dans la guerre

    Un gamin de Gambsheim a traversé l’Europe en 1943, forcé par l’annexeur à affronter Ivan jusqu’à Budapest. Sylvie Debs publie les mémoires d’un père blessé.

     
    René Debs et ses camarades de guerre. 
     

    « Alors, un de plus me direz-vous ? » interroge Jean-Louis Vonau dans la préface. Un témoignage de Malgré-nous de plus ? Un de plus, oui, nécessairement. Un de mieux aussi. Une tranche de vie d’un presque adolescent rapté par la guerre que René Debs a lui-même découpée, détaillée dans un manuscrit en allemand, « la langue dans laquelle il a fait la guerre », rappelle sa fille Sylvie.

    Les éditeurs ne se sont d’ailleurs pas précipités pour retracer le parcours du jeune incorporé de force. L’Harmattan s’est lancé, enrôlant l’Alsacien dans sa collection Graveurs de mémoire. Et en ce mois d’avril, quelques semaines avant les 80 ans de l’opération Barbarossa, paraissent les mémoires d’un « rescapé de la bataille de Budapest ».

    Sylvie Debs s’est chargée de la traduction. Qui a avivé des regrets : « J’aurais dû lui poser plus de questions », avoue la maître de conférences. Incorporé à 18 ans, le gamin de Gambsheim a été brinquebalé au Danemark, en Norvège, en Pologne…

    Le cognac, Ivan, les blessures…

    Il raconte les combats contre « Ivan », le soldat de l’Armée rouge mais aussi les rencontres, les frayeurs, les siennes et celles des autres, les amourettes, la découverte du sauna familial en Norvège, une cuite sévère à coups de cognac en Pologne, un mariage russe… « Tout ça avec son esprit et son cœur d’adolescent », précise la traductrice. En deux ans à l’Est, René Debs aura autant de permissions.

    « On a vécu avec ses séquelles », se souvient la fille du combattant décédé il y aura bientôt 20 ans. Aucun trou de mémoire mais des trous dans la peau, des éclats d’obus dans la colonne vertébrale, des migraines à s’isoler dans le noir le plus profond. En même temps qu’un galet du Rhin et un mouchoir tricolore dans sa poche, le futur directeur régional de la SNCF gardera la vie sauve. « Il ne supportait pas qu’on nous traite de boches ! » se souvient sa fille.

    Mémoires d’un Malgré-nous, rescapé de la bataille de Budapest , L’Harmattan, 148 pages, 16,50 €.


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  • Niederhergheim Le mystère de Xavier Kopp, Malgré-nous, évadé puis tué par un soldat américain

    Lien vers le journal

    Incorporé de force en 1942, Xavier Kopp, un enfant de Niederhergheim, s’évade de son unité à la faveur d’une permission en Alsace, juste avant les combats de la Poche de Colmar. Deux jours après la libération, il est tué par un soldat américain. Sa dépouille n’a jamais été retrouvée.

    Par Nicolas ROQUEJEOFFRE 
    Le nom de Xavier Kopp est inscrit sur la tombe du caveau familial mais sa dépouille ne s’y trouve pas.  Photo DNA / Nicolas Pinot
     
    Le nom de Xavier Kopp est inscrit sur la tombe du caveau familial mais sa dépouille ne s’y trouve pas. Photo DNA / Nicolas Pinot
    affaire xavier kopp
     

    Les dossiers compliqués ne font pas peur à Claude Herold. Ce Turckheimois, spécialisé dans la recherche de sépultures d’incorporés de force (il a, à ce jour, pu retrouver le lieu d’inhumation de plusieurs centaines d’Alsaciens enrôlés dans l’armée allemande), enquête depuis trois ans sur le cas de Xavier Kopp. Originaire de Niederhergheim, cet homme, né en 1922, était le fils du forgeron du village, Joseph, et de Frédérique Weck, originaire de Gueberschwihr. Le couple a eu huit enfants dont quatre garçons. Seul Xavier a été happé par l’armée d’occupation. Chez les Kopp, on n’aimait pas trop les Allemands. Le cœur battait français, surtout depuis la nazification de la région.

    Déporté car il avait fait la forte tête

    Xavier était une forte tête. Dans l’un de ses ouvrages (*), l’historien Nicolas Mengus relate l’opposition de plusieurs jeunes du village, tous nés en 1922, qui ne veulent pas rejoindre l’armée allemande. Nous sommes fin 1942, peu de temps après la promulgation du décret du Gauleiter Wagner instaurant l’incorporation de force. « Lors du passage au conseil de révision pour la Wehrmacht, [Xavier Kopp] refuse, avec sept camarades, de signer son Wehrpass (livret militaire). La sanction tombe aussitôt : c’est la déportation au camp de Schirmeck. Mais cela n’est qu’un contretemps avant l’incorporation ».

     
    Xavier Kopp, avant l’incorporation de force.   Photo DR

    Du 19 septembre au 2 octobre, Xavier Kopp est donc interné dans le camp de sécurité bas-rhinois, puis rejoint les rangs de la Wehrmacht. On ne sait rien de son périple, de l’unité dans laquelle il a été versé. Comme beaucoup, il a sûrement dû rejoindre un régiment qui bataillait sur le front russe. Sans certitude.

    De retour en Alsace en septembre 1944

    En obtenant de précieux documents de la division « archives » des victimes des conflits contemporains, branche du service historique des armées située à Caen, Claude Herold apprend cependant que Xavier Kopp est retourné en Alsace en septembre ‘44 à la faveur d’une permission. Il décide de ne pas rejoindre son régiment et se réfugie dans le village natal de sa mère. Dans un précieux témoignage manuscrit datant de 1947, Joseph Kopp confirme en effet que son fils a réussi à déserter et « se serait caché à Gueberschwihr puis à Colmar ».

    Janvier ‘45, la Poche de Colmar s’est formée depuis le début de l’hiver et les Allemands fortifient ce bout de terre qu’ils considèrent comme partie intégrante du Reich. Les forces alliées lancent l’offensive fin janvier. Grussenheim, Jebsheim, Widensolen, les villages de la plaine sont libérés à la suite de terribles combats, quelquefois au corps à corps. Le 2 février, Colmar sort les bannières tricolores après l’arrivée des blindés du général Schlesser. Des tireurs embusqués font toutefois mouche. Le bataillon de choc et le 1er régiment de chasseurs parachutistes sont chargés de nettoyer la ville.

    « Abattu à coups de fusil »

    Le 4 février, Xavier Kopp sort de sa cachette. « Dans l’allégresse générale qui suivit la libération de Colmar, mon fils eut l’imprudence de s’aventurer dans la rue habillé moitié civil, moitié militaire allemand, écrit Joseph Kopp en 1947 dans une lettre adressée au ministère des Anciens combattants. Il fut saisi par les troupes américaines et fusillé ». Fusillé, vraiment ? Un autre témoignage diffère. Il provient d’Irma Spadacini et Paul Jung, qui vivaient rue du Chêne à Colmar et ont été témoins de la scène. Ils attestent, dans un document datant du 19 août 1947, « avoir été en compagnie » de Xavier Kopp ce 4 février ‘45 « lorsque celui-ci fut abattu à coups de fusil par un soldat américain » rue du Bouleau, dans le quartier de la Soie.

    Selon Laurent Kloepfer, bénévole au musée des combats de la Poche de Colmar, il est fort probable que l’Américain a pris Xavier Kopp pour un Allemand avec son bas de treillis de la Wehrmacht. « Il est mort bêtement », ajoute son père, Jean-Paul, dont la maison est mitoyenne de celle où vivaient les Kopp. Plus aucun descendant de cette famille ne vit à Niederhergheim. Le doyen du village, Henri, se souvient du père, Joseph, « un homme peu bavard ». « Jamais il ne parlait de la mort de son fils ».

    Jean-Claude Kloepfer devant l’ancienne maison des Kopp à Niederhergheim et l’ancienne forge.   Photo DNA /Nicolas Pinot

    En 1957, reconnu « mort pour la France »

    Comble de malheur pour les Kopp, en plus de perdre leur fils deux jours après la libération, ils n’ont pas pu faire leur deuil car la dépouille de Xavier Kopp n’a pu être récupérée par la famille. En août 1947, Joseph indique bien, dans une demande d’établissement d’un acte de décès pour son fils, que son corps « amené à une destination inconnue, n’a pu être retrouvé jusqu’à ce jour ». L’acte de décès est enregistré en février 1948.

    Le 2 décembre 1957, l’incorporé de force est reconnu « mort pour la France » après une enquête de moralité menée par la préfecture. Dans une lettre adressée au ministre des Anciens combattants, le représentant de l’Etat spécifie que le « comportement national » de Xavier Kopp et de sa famille « a été sans reproche ». Le nom de Xavier Kopp figure sur le monument aux morts de la commune. Il est aussi gravé sur la pierre tombale du caveau familial où reposent ses parents. Mais le corps ?

    Après vérification, la mairie de Niederhergheim indique ne détenir aucun document relatif à une inhumation du jeune Kopp dans le caveau familial. Contacté par l’office national des anciens combattants du Haut-Rhin, le pôle des sépultures de guerre à Metz a cherché à localiser la sépulture perpétuelle de Xavier Kopp, sans succès.

    Le mystère demeure

    Laurent Kloepfer et Claude Herold avancent une hypothèse. Le corps aurait pu être inhumé dans un cimetière provisoire qui avait été aménagé à l’angle des rues du Ladhof et du Pigeon, non loin du quartier de la Soie, lors des combats de la Poche de Colmar. Ce que confirme Marie-Joseph Bopp dans son ouvrage Ma ville à l’heure nazie (la Nuée Bleue). « Les enterrements ne purent plus se faire au cimetière exposé au feu de l’artillerie américaine, relate-t-il. Les cercueils étaient provisoirement enterrés dans le parc du monument aux morts » du Ladhof.

    Après-guerre, ces cercueils ont sûrement été exhumés pour être enterrés au Ladhof ou dans des cimetières militaires. Or, là encore, aucune trace de Xavier Kopp à Colmar ou à la nécropole allemande de Bergheim où se trouve, précise Jean-Paul Kloepfer, « une centaine de tombes portant mention « soldat inconnu » ». Le mystère demeure donc, au grand dam de Claude Herold qui a décidé de poursuivre ses recherches. L’homme n’est pas du genre à lâcher prise.

    (*) Les Malgré-Nous , de Nicolas Mengus (édition ouest France, 2019).


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    HISTOIRE | Résistance : Marcelle, la dernière des « Pur-Sang »

    Durant la guerre, le réseau Pur-Sang s’est affairé, avant son démantèlement, à aider des prisonniers évadés et des civils à quitter clandestinement l’Alsace alors annexée à l’Allemagne nazie. Âgée de 96 ans, Marcelle Engelen-Faber est l’ultime survivante de cette filière animée par six Guides de France.
    Par Philippe WENDLING -

    Libéré /François-Xavier MAIGRE Son parcours durant la Seconde Guerre mondiale, Marcelle Engelen – épouse Faber – ne l’évoque que rarement. Pudeur, modestie et retenue. Plus le passé est lourd, moins il est évident d’en parler. « La guerre a brisé ma belle jeunesse », lâche cette dame, âgée aujourd’hui de 96 ans, avant de relever avoir parfois l’impression que tout cela est arrivé à « une autre personne » qu’elle. « À l’époque, je n’ai jamais réalisé que je faisais quelque chose de spécial… »

    Et pourtant ! Marcelle Engelen voit le jour le 3 août 1923 à Strasbourg, où son père est bijoutier. Dès l’âge de 6 ou 7 ans, comme ses quatre frères et sœurs, elle fait ses premiers pas dans le scoutisme. Ce mouvement va, en parallèle de son éducation, forger son caractère et faire naître en elle un certain patriotisme et un sens du devoir. C’est donc presque naturellement qu’elle intègre les Pur-Sang, une filière d’évasion organisée, à partir de l’automne 1940, par des Guides de France refusant l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne nazie. À ses côtés, Lucienne Welschinger, la fondatrice du réseau, Emmy Weisheimer, Lucie Welker, ainsi que les sœurs Alice et Marie-Louise Daul. À pied à travers les Vosges, sous la neige « Nous étions toutes les six dans des compagnies de scoutisme différentes, mais il nous arrivait de participer aux mêmes camps et événements », précise Marcelle Engelen. « Je connaissais, également, les sœurs Daul parce que nos familles avaient toutes deux une maison secondaire à Grendelbruch. Quand elles m’ont proposé de rejoindre leur équipe, j’ai tout de suite accepté. J’étais un peu une tête brûlée et il ne faut pas oublier qu’en tant qu’Alsaciens, nous étions plus français que les Français ! » Sa première mission : établir un contact avec des prisonniers de guerre désirant quitter la région par le biais de permanences clandestines organisées tous les soirs au cœur de l’église Saint-Jean à Strasbourg. « Nous attendions entre 18 h et 19 h devant l’autel de la Sainte Vierge », raconte-t-elle. « Le mot de passe était Pierre… » Marcelle Engelen est alors lycéenne. Durant son année de terminale, elle passe devant le conseil de révision de l’ Arbeitsdienst , le service de travail obligatoire instauré par le IIIe Reich, et parvient à obtenir une réforme de six mois. « Il était hors de question que je fasse ce service ! », clame-t-elle toujours avec force et conviction. Pour y échapper, elle fait le choix de rejoindre Audincourt, dans le Doubs, où s’est installé l’un de ses frères. Elle profite de l’occasion pour aider quatre prisonniers de guerre et trois civils – dont une femme de confession juive – à quitter clandestinement l’Alsace.*

    Leur périple débute, en train, de Strasbourg à Munster un dimanche d’octobre 1941. « Nous avons ensuite marché jusqu’à Gérardmer, sous la neige, en nous orientant grâce à une simple carte et à une boussole », se souvient-elle. « Les Allemands surveillant le sentier des Crêtes, nous l’avons traversé l’un après l’autre en essayant de faire le moins de bruit possible. Nous n’étions pas à l’abri de nous faire surprendre et arrêter. » « Un soldat allemand a surgi » Une fois à Gérardmer, le groupe est pris en charge par les sœurs de la communauté de Notre-Dame de Sion alors exilées de Strasbourg. Tandis que les personnes qu’elle a conduites sont dirigées vers Lyon, Marcelle Engelen part à Audincourt. Au bout de quelques semaines, l’envie de célébrer Noël avec ses parents la fait revenir – là encore clandestinement – à Strasbourg grâce, notamment, à l’assistance d’une fermière de Masevaux. Son séjour n’est que de courte durée. En effet, sa crainte d’un enrôlement dans l’ Arbeitsdienst la pousse, à nouveau, à repartir dès le mois de janvier 1942. « Ma mère m’a accompagnée à la gare de Strasbourg sans savoir ce que j’allais vraiment faire », explique-t-elle. « Elle ignorait que je ne partais pas seule. Je devais permettre à quatre prisonniers de guerre de quitter la région. Pour qu’ils me reconnaissent, je portais un foulard à fleurs sur la tête. Ma mère trouvait bizarre que des hommes, surtout plus âgés que moi, me regardent. Elle se doutait peut-être de quelque chose… Nous n’en avons jamais parlé, ni à ce moment-là, ni après. En tout cas, elle n’a rien dit lorsque je suis montée dans un train pour Sarrebourg. » De-là, la jeune passeuse et les quatre hommes qu’elle accompagne embarquent dans un autre train pour Landange, avant de marcher, de nuit par -10 °C, jusqu’à Cirey-sur-Vezouze. Tous reprennent ensuite les rails pour Épinal. « Nous sommes arrivés vers 20 h », précise Marcelle Engelen. « On m’avait indiqué que nous devions nous rendre dans un cabanon de triage situé au bout des voies. Une quarantaine d’hommes, tous des évadés, y attendaient de pouvoir quitter le territoire en montant dans des wagons de marchandises avec l’aide de résistants de la SNCF. Au milieu de la nuit, un sous-officier allemand a surgi. Des hommes ont immédiatement sorti leur couteau. Heureusement, il n’a pas saisi la situation. Il était seul, ivre et perdu. Il cherchait la Kommandantur. Comme je parlais allemand, je lui ai donné une direction – la mauvaise, bien entendu – et il est reparti. Jusqu’au matin, nous avons eu peur qu’il revienne avec d’autres soldats. Il ne s’est finalement rien passé… » Au chevet des blessés Après cet épisode, Marcelle Engelen retourne chez son frère à Audincourt. 

    Mauvaise nouvelle : Lucie Welker, une autre Pur-Sang, est arrêtée par la Gestapo le 26 février 1942 et les adresses des membres de son organisation sont retrouvées lors d’une perquisition à son domicile. À l’exception de Marcelle Engelen, toutes ses amies sont à leur tour interpellées, tout comme le sont six de leurs contacts. À l’issue d’un procès devant le tribunal du peuple, un verdict tombe en janvier 1943. Six d’entre eux sont condamnés à des peines allant de six à quinze ans de prison. La peine capitale est prononcée contre les cinq autres. Ils échapperont finalement à la mort, mais resteront emprisonnés jusqu’à la fin du conflit. « Lorsque les autres Pur-Sang ont été arrêtées, les Allemands sont venus me chercher chez ma mère. Elle leur a dit qu’elle ne savait pas où j’étais, que j’avais fugué… Ils n’ont pas insisté », souligne Marcelle Engelen en notant que son père a lui-même été incarcéré au camp de Schirmeck, de mai à décembre 1942, pour avoir participé à un autre réseau d’aide aux prisonniers de guerre. Son équipe démantelée, l’Alsacienne vit un temps chez l’une de ses sœurs dans l’Aveyron, avant d’intégrer l’École des infirmières et assistantes sociales à Lyon. À l’automne 1944, elle interrompt ses études pour s’engager comme infirmière dans le corps des auxiliaires féminines de l’armée de terre. Son affectation : Bellemagny, où elle donne les premiers soins aux soldats blessés dans les combats de libération du Haut-Rhin et de la Poche de Colmar.

    La retraite en Isère Affectée ensuite en dermatologie, Marcelle Engelen demande et obtient sa démobilisation, le 1er mars 1946. De retour chez ses parents à Strasbourg, elle est rapidement recrutée pour organiser le service social de la maison centrale pour femmes de Haguenau. Elle reprend dès lors une vie plus classique. Lors des noces de l’une de ses sœurs, le cavalier qui lui est destiné ne peut finalement pas se déplacer. Jean Faber, son remplaçant qu’elle ne connaît pas, est un géologue de quatre ans son cadet. Originaire de la Meinau, il a été un Malgré-Nous durant la guerre. Coup de foudre avec la résistante. Ils s’unissent en juillet 1952 et donnent vie à quatre enfants. Du fait des activités professionnelles de Jean Faber, la famille va déménager à plusieurs reprises et vivre, notamment, en Nouvelle-Zélande dans les années 1960. Le couple de nonagénaires réside désormais à Meylan, près de Grenoble. Marcelle Engelen-Faber est l’ultime survivante des Pur-Sang. A lire aussi Malgré ses actes de bravoure, une oubliée de l’Histoire Résistance -

    Quelque 350 évadés dont Marcel Rudloff Le réseau des Pur-Sang a permis, au total, à quelque 350 prisonniers évadés, résistants, réfractaires ou simples civils de sortir clandestinement de l’Alsace et de rejoindre la France libre. Parmi eux : un certain Marcel Rudloff, futur maire de Strasbourg, qui a quitté la région le 31 janvier 1942. Il était alors âgé de 19 ans. Cet épisode, il l’a raconté dans l’ouvrage Souvenirs pour demain : entretiens avec Alain Howiller (éd. La Nuée Bleue, 1996). Extrait : « Nous étions cinq garçons, deux filles qui voulaient rejoindre leur fiancé en zone libre, et nos guides. De Stosswihr, nous gagnons Soultzeren, puis nous nous dirigeons vers la route des Crêtes pour franchir les sommets entre le Hohneck et le Tanet. On s’enfonce dans la neige, on se perd un peu, la nuit tombe vite et notre groupe progresse péniblement. On perd du temps, pour nous retrouver finalement dans la montagne et passer la nuit dans un refuge de berger. Les deux filles nous conduisent avec beaucoup de sûreté, mais le mauvais temps freine notre progression, nous perdons un jour et une nuit par rapport au programme fixé… » Durant leurs activités d’extraction, les Pur-Sang ont aussi bien traversé les Vosges qu’entrepris des périples par la Suisse et la Moselle.


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    MALGRÉ-NOUS : Incorporé de force deux jours avant la libération de Strasbourg

    Il y a 78 ans, le 25 août 1942, était publié le décret instaurant l’incorporation de force pour les Alsaciens. Né dans la vallée de la Bruche en novembre 1928, Florent Holveck fut l’un des derniers Malgré-Nous : quand il est parti pour le RAD puis la Wehrmacht, il n’avait pas encore 16 ans.
    Par Hervé de CHALENDAR - 

    Quand la Seconde guerre a été déclarée, il n’avait que 10 ans ; ceci ne l’empêchera pas de se retrouver sur le front russe… Florent Holveck est né il y a 92 ans, le 28 novembre 1928, à Wackenbach, un hameau de Schirmeck, où il vit toujours. À partir de la rentrée 1940, alors que le camp de redressement de Schirmeck se met en place à quelques centaines de mètres de chez lui, ce petit Welche découvre la langue allemande dans une école où chaque journée commence par un « Heil Hitler ! » le bras levé. En 1942, il commence un apprentissage pour devenir menuisier. Et à la fin de l’année 1944, il doit partir pour le RAD, le Reichsarbeitsdienst , cette formation militaire qui servait de prélude à la Wehrmacht.

    « Ich schwöre… nicht ! »

    Le départ est programmé pour le 21 novembre 1944. Soit une semaine avant ses 16 ans, et, surtout, deux et quatre jours avant, respectivement, les libérations de Strasbourg et de Schirmeck… « Depuis des mois, on entendait le canon à l’Ouest, mais le front ne bougeait pas, raconte aujourd’hui Florent Holveck. On en a parlé avec mon cousin Christophe, qui devait partir avec moi : si l’arrivée des libérateurs traînait encore, nos parents risquaient d’être expulsés. Il y avait eu un cas au village… Les miens étaient âgés, mon père avait fait 14-18 côté allemand. C’était un cas de conscience. Et puis ce n’était encore que le RAD, pas la Wehrmacht… » On pourrait croire que partir à la guerre quand celle-ci se termine est un moindre mal ; le parcours de Florent, qu’il a mis par écrit en 1999 à destination de ses petits-enfants, raconte l’inverse.

    Le 21 novembre, donc, les cousins prennent le train à Saverne avec quelque 200 Bas-Rhinois des classes 27 et 28. Deux jours plus tard, ils arrivent dans un camp à Arneburg, près de Magdebourg, sur les bords de l’Elbe. Le travail de Florent consiste à retaper un camp voisin. « Bien sûr qu’on a appris que Strasbourg était libéré ! Un copain a reçu un colis avec du chocolat américain, qu’on a partagé… »

    Quatre mois plus tard, le 11 mars 1945, alors que le dernier coin d’Alsace encore occupé (le nord du Bas-Rhin) s’apprête à être libéré, Florent est officiellement versé dans la Wehrmacht, sans transition avec le RAD. Lors de la prestation de serment, après la phrase « Ich schwöre » (« Je jure »), il rajoute tout bas la négation « nicht »… « Après, il y a eu le moment du chant. Mais il y a eu un decrescendo et le chant s’est arrêté en plein milieu, dans un silence. Nous n’étions que des Alsaciens… »

    Fusillés devant leurs camarades

    Deux semaines plus tard, ces gamins sont envoyés sur le front de l’Est, à Drehnow, sur la ligne Oder-Neisse. Le dimanche 8 avril, deux jeunes de La Broque, Edmond Krantz (classe 28) et Léon Oechsel (classe 27), tentent une évasion ; ils sont repris le mercredi et fusillés le vendredi matin. Tous leurs camarades alsaciens doivent assister à la scène. À 9 h, dans une carrière de sable, les condamnés à mort de 16 et 17 ans sont ligotés à des piquets. « Je baissais la tête…, se souvient Florent. Je l’ai relevée quand j’ai entendu les détonations. Un officier a sorti son revolver et est allé donner le coup de grâce à chacun d’eux. Au RAD, Krantz avait son lit à côté du mien… Quand vous voyez ça à 16 ans… » Des plaques leur rendent hommage, aujourd’hui, dans le cimetière de La Broque. Il se raconte qu’à la même période une trentaine d’Alsaciens ont voulu se rendre aux Russes, et qu’ils ont été abattus à la fois par les Russes et par les Allemands : « Mais ça, je l’ai entendu, je ne l’ai pas vu… »

    « Redevenir des êtres humains »

    Les enfants d’Alsace sont désormais au cœur de l’enfer, en première ligne face à l’offensive russe. Ils traversent un paysage d’apocalypse. Aux horreurs de la guerre (déluge de feu, morts en pagaille, maladies) s’ajoutent les drames des civils : Berlin en flammes, les maisons pillées, les colonnes de réfugiés… « J’ai même vu un chameau tirer une voiture ! »

    À plusieurs reprises, par miracle, les cousins survivent à des pluies de projectiles. Une vingtaine d’années plus tard, lors d’une visite de la médecine du travail, un de leurs copains aura la surprise d’apprendre qu’une balle russe était toujours fichée dans son côté… Des prisonniers français proposent à Florent et Christophe de leur donner des habits et de les garder avec eux ; ils n’osent pas : le souvenir d’Edmond et de Léon est encore trop frais.

    Le 28 avril 1945, soit une dizaine de jours avant la capitulation allemande, ils sont faits prisonniers par les Russes à Halbe, au sud de Berlin. Le début de la fin ? Pas vraiment… Ils sont envoyés vers l’Est, sur « des routes pleines de sang », et pas seulement au sens figuré. Ils vont de camp de prisonniers en camp de prisonniers, et ceux-ci sont situés toujours plus loin : en Pologne, en Ukraine, en Russie…

    Cette fois, c’est surtout la maladie qui menace l’adolescent. Il leur arrive de dormir dans des champs, sans abri, comme des bêtes. Florent arrive à Tambov le 16 septembre. Le temps de faire connaissance avec les rats (« Ils grimpaient sur nous la nuit ») et il en repart le 26. Cette fois, la fin est vraiment en vue. Pendant le retour, en train, Florent commence à se requinquer. « Nous nous sentions redevenir des êtres humains… »

    Il est à Paris le 24 octobre et à Strasbourg dès le lendemain. Il prend aussitôt un train pour la vallée de la Bruche. Quand il arrive à Wackenbach, sa mère vient de recevoir un télégramme annonçant son « retour imminent ». On pleure, on défaille, on saute de joie… Et on s’inquiète aussitôt pour Christophe, le cousin, qui n’est pas avec Florent ; il rentrera dix jours tard. « Je ne tenais pas en place : je n’arrivais pas à réaliser que j’étais de retour à la maison ! » En partant de Tambov, Florent pesait moins de 40 kilos. Quand il reprend le travail, le 2 janvier 1946, il en pèse 70. Il vient d’avoir 17 ans. Sa vie peut commencer.

     

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    SECONDE GUERRE MONDIALE[Vidéo] Marcel, ancien Waffen SS, incorporé de force

    Originaire de Saint-Pierre-Bois dans le Bas-Rhin, Marcel a été incorporé de force dans l'armée allemande en février 1944. Ses deux plus grands frères également.

    Né en 1926, il a été versé dans la Waffen SS comme quelque 4000 Alsaciens et Mosellans de sa classe d'âge. Dans son malheur, Marcel a eu de la chance. Il n'a pas tiré une seule balle de février à septembre 44, date à laquelle il a été fait prisonnier en Belgique. Il a ensuite intégré l'armée française et a terminé la guerre en Allemagne. Notre portrait, à lire dans l'édition de ce jour.

    Marcel: "Avant le Déparquement, certains Allemands savaient que la guerre serait perdue". (Photo DNA L. Habersetzer)
    Marcel: "Peut-être que l'esprit, là-haut, m'a aidé". (Photo DNA L. Habersetzer)
    Nicole et Jean Bézard, en train de ramasser de la terre d'Alsace dans le jardin de Marcel. (Photo DNA L. Habersetzer)
    Nicole et Jean Bézard, en train de ramasser de la terre d'Alsace dans le jardin de Marcel. (Photo DNA L. Habersetzer)
     
    Marcel: "Peut-être que l'esprit, là-haut, m'a aidé". (Photo DNA L. Habersetzer) 

     

    Marcel, chez lui à Triembach

    Membres fondateurs de la SNIFAM (association de Solidarité Normande avec les incorporés de force alsaciens et mosellans), Nicole et Jean Bézard se battent depuis de longues années pour mieux faire connaître le sort tragique des incorporés de force dont plusieurs centaines ont combattu en Normandie. Certains ont pu s'échapper et rejoindre les troupes alliées.

    Quand les Bézard récupèrent la terre alsacienne pour l'emener en Normandie


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    Malgré-nous : « Les durs chemins de la liberté » d’Edmond Klenck, de Schlierbach

    Le Schlierbachois Edmond Klenck a fait partie des Malgré-nous alsaciens pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a rédigé les mémoires de guerre de son incroyable périple dans un remarquable document intitulé « Les durs chemins de la liberté », que nous publions par épisodes.

    Edmond Klenck rencontrant le pape Jean-Paul II en 1984.  DR
    Edmond Klenck rencontrant le pape Jean-Paul II en 1984.  DR

    Pour commencer, un avant-propos de l’auteur, Edmond Klenck. « Depuis des années, de nombreux parents, amis et connaissances qui ont entendu le récit de quelques-unes de mes aventures dans le maquis polonais m’ont prié de mettre par écrit mes mémoires. J’ai toujours hésité, car le souvenir précis des lieux, faits et gestes s’est estompé au fil des années, et durant le temps de ma vie active, cette tâche ne me paraissait pas prioritaire.

    « Rassembler ce qu’il me reste de mes souvenirs »

    Maintenant que je suis à la retraite, je dispose de plus de temps et le passé surgit de manière plus insistante, comme une sorte de conjuration contre l’oubli. J’en ai conclu que le moment était venu de rédiger un texte qui rassemblerait ce qu’il me reste de souvenirs.

    Si, dans une première partie qui concerne la période allant jusqu’à mon évasion de l’armée allemande, la chronologie est à peu près respectée, je ne saurais affirmer la même chose pour les faits divers se rapportant à mon séjour dans le maquis, parce qu’ils se présentent un peu pêle-mêle à mon esprit. Tous ces événements se sont inscrits en moi, sans respecter les repères de temps et de lieu, je vous prie de m’en excuser. D’avance je demande votre indulgence pour les imprécisions que je viens de signaler.

    Les tribulations subies par la jeune génération d’Alsaciens et de Lorrains

    Je ne prétends nullement faire œuvre d’historien. Il s’agit plutôt d’un témoignage, parmi d’autres, qui relate les tribulations subies par la jeune génération d’Alsaciens et de Lorrains, suite à l’annexion de leur petite patrie au Reich. Une annexion qui est restée volontairement ignorée par la France de Pétain, et qui laisse encore aujourd’hui nos compatriotes assez indifférents. »

     

    L'invasion

    Voici le premier extrait des mémoires d’Edmond Klenck, de Schlierbach. Un texte intitulé : "L'invasion".

     

    « En 1939, je me trouve depuis trois ans en pension au château d’Aix, un collège salésien situé dans le département de la Loire, dans la région de Balbigny. J’ai 15 ans et je finis ma 3e. En mai 1940, lorsque les Allemands déferlent vers le sud de la France, le directeur décide de fermer l’établissement et de renvoyer les élèves chez eux. Nous sommes une vingtaine d’Alsaciens dont les familles ont été évacuées en 1939 parce que leurs villages situés sur le Rhin sont en première ligne. Mais cette précaution s’avère totalement inutile, car la percée des troupes allemandes se fait à travers la Belgique et les Flandres.
    Mes parents sont réfugiés à Lauzun, une commune du Lot-et-Garonne. Toute la troupe des Alsaciens quitte donc le château d’Aix, accompagnée par un abbé salésien anglais, le père Power, qui a hâte de rejoindre son pays avant l’occupation de la côte atlantique par l’ennemi. Les voies de communication étant coupées, nous partons à pied. Je n’ai pour tout bagage qu’une valise, qui va me servir de siège et d’oreiller lors des différentes étapes de notre périple. Nous prenons la route de Thiers - Clermont-Ferrand, à travers les collines du Forez d’abord, la plaine de la Limagne ensuite et les contreforts du Massif central. Nous couchons dans les granges ou sommes accueillis dans des familles qui s’apitoient sur nous.
    Une cible de choix
    Si le trajet jusqu’à Thiers s’effectue sans encombre, nous subissons par contre à plusieurs reprises les attaques des Stukas dans la plaine de la Limagne. La file ininterrompue de réfugiés français et belges, mêlés aux soldats en déroute, qui serpente à travers cette plaine offre une cible de choix aux attaquants. À chaque survol des avions, nous courons nous abriter dans les fossés de chaque côté de la route, par chance assez profonds.
    À raison d’une vingtaine de kilomètres par jour, nous atteignons la petite ville de Laqueille, où nous trouvons un train en partance pour Bordeaux. Les wagons ont été pris d’assaut et n’offrent plus aucune place. Heureusement, on accroche au train de voyageurs quelques wagons de marchandises. Nous nous installons sur un wagon ouvert, bordé de ridelles d’une cinquantaine de centimètres de haut, où s’entassent pêle-mêle des tuyaux de fonte longs d’une soixantaine de centimètres et d’une trentaine de centimètres de diamètre. Nous calons nos bagages entre les tuyaux, en évitant les arêtes.
    À Périgueux, un train de voyageurs archibondé nous permet de continuer le voyage. En cours de route, plusieurs camarades quittent le groupe au gré des différents endroits où leurs familles sont réfugiées. À Bordeaux, nous nous retrouvons à cinq : l’abbé qui a hâte de rejoindre le port dans l’espoir de trouver un bateau en partance pour l’Angleterre, deux camarades qui se dirigent vers les Landes et les deux rescapés de Schlierbach, Gérard Oddolay, et moi-même, qui devons prendre la direction d’Agen. »

    Le 25 août 1942, le Gauleiter Wagner, qui exerçait les pleins pouvoirs sur l’Alsace, publie une ordonnance portant incorporation de 20 classes d’âge d’Alsaciens. Une ordonnance identique est publiée peu après par son collègue de Metz pour les habitants du département de la Moselle (appelés ici « Lorrains »).

    Les hommes de 17 à 37 ans ont été incorporés. Nombre d’Alsaciens : 100 000, nombre de Mosellans : 30 000, nombre de tués ou disparus (en comptant ceux qui ont péri au camp soviétique de Tambow) : 40 000.


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     Les Malgré Nous

    Journal l'Alsace du 25 août 17

    INCORPORATION DE FORCE« Sous les nazis, il n’y avait plus de libertés »

    Le Strasbourgeois Charles Kohler (classe 1927), qui a vécu sa jeunesse à Colmar, a échappé à l’incorporation de force grâce à différents subterfuges. « Flakhelfer » près de Karlsruhe, il s’est caché ensuite jusqu’en février 1945, pour s’engager dans l’armée française à la Libération. Cet Européen convaincu analyse la nazification de l’Alsace.

    La presse suite

    Lorsque les nazis ont investi Colmar, Charles-Louis Kohler, pâtissier de la rue des Têtes, a élaboré plusieurs stratagèmes pour épargner son fils. Certains ont fonctionné – Charles n’a pas été incorporé de force – d’autres pas. « L’administration allemande étant très rigoureuse, il fallait chercher les failles dans les lois pour essayer de s’en tirer » , assurait Charles-Louis, sûr de son expérience à l’époque du Reichsland.

    Ancien fonctionnaire du Conseil de l’Europe, Charles Kohler – qui est le père d’Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée – travaille sur un livre, avec des photographies, retraçant quatre générations de l’épopée familiale. « Parler de faits de guerre ne suffit pas. Il faut que les jeunes d’aujour-d’hui comprennent la politique de nazification croissante des Allemands de 1940 à fin 1942, début 1943 » , affirme ce vaillant nonagénaire. Bien qu’âgé seulement de 13 ans en 1940, il a vécu la mise au pas de l’Alsace par les nazis. Mais aussi les actes de refus des Alsaciens.

    Sa camarade jouait les « Polonaises » de Chopin

    Plus de 70 ans plus tard, il n’a pas oublié ces soirées d’été lorsque Claude, la fille de la voisine d’en face, sa camarade, jouait les Polonaises de Chopin, fenêtres grandes ouvertes. Sa mère, Erika Sittler, ne se contentera pas de narguer les nazis avec des valses. Elle se mettra en danger pour sauver des jeunes Malgré-Nous.

    Jusqu’en 1939, Charles Kohler n’avait jamais parlé allemand en famille, ses parents souhaitant qu’il soit parfaitement francophone. Pourtant ses deux grands-pères, mariés à des Alsaciennes, étaient allemands. Né à Fribourg, François-Joseph Kohler, qui ne jurait que par la pâtisserie viennoise, avait créé son entreprise à Colmar en 1898. L’autre grand-père était fonctionnaire allemand et avait épousé une fille originaire de Voegtlinshoffen. En 1918, il est expulsé avec femme et enfants. L’une de ses filles reviendra travailler à Colmar, dans la pâtisserie Kohler. C’est le coup de foudre entre Charles-Louis et la belle Marguerite, qui se marient fin 1925 et auront deux fils, dont Charles.

    En septembre 1939, son père et son oncle – professeur au lycée Bartholdi, ami de Marie-Joseph Bopp (*) – sont mobilisés par l’armée française. Après la débâcle et l’Armistice de 1940, l’Alsace est annexée par le IIIe Reich. À la rentrée de 1940, parler français est interdit. Mais surtout, appuie Charles Kohler, dans un long récit, « il n’y a plus de liberté. Tout ce qui est politique, associatif, syndical passe par le parti nazi. » Il est mal vu aussi d’aller à l’église ? Charles-Louis emmène son fils tous les dimanches à la messe des Dominicains…

    « Dans la cour du lycée, lors du salut au drapeau à croix gammée, les jeunes Alsaciens faisaient seulement semblant de chanter » , se souvient Charles. Curieux de tout, il laisse t traîner ses oreilles. Un jour, un pâtissier annonce son désir de s’engager chez les Waffen SS. « C’était plus par désir d’aventure que par conviction » , lâche-t-il. Les autres ouvriers essaient de l’en dissuader. « Dans toutes les entreprises, il y avait un délégué du syndicat nazi. Lorsqu’il y avait une manifestation au Champs de Mars, il disait aux autres : “Je veux vous y voir tous !” » , explique Charles, en évoquant « cette chape de plomb qui recouvrait tous les domaines de la société ». Et d’ajouter que « déroger à la règle, voire se révolter, pouvait mener au camp de rééducation de Schirmeck, parfois même au poteau d’exécution après une condamnation par le sinistre juge Freisler ».

    En 1943, ce sont les premiers conseils de révision pour les garçons de 16-17 ans. Charles-Louis a étudié les textes. Son fils devra, le moment venu, « s’engager dans la Kriegsmarine pour devenir médecin ». « Nous avions une année supplémentaire avant d’aller sur le bateau, mais cela n’a pas marché » , constate-t-il. Pourtant, Charles avait suivi la formation des jeunes mousses sur l’Ill, à Colmar, sur la Sarre et même à Stettin, dans l’actuelle Pologne.

    Lorsqu’il est convoqué devant le conseil de révision du RAD ( Reichsarbeitsdienst ), le médecin le déclare inapte. Cela ne l’empêche pas de passer devant le conseil de révision des SS. Il refuse de signer un autre engagement, au nom de celui dans la Kriegsmarine. « Au bout de trois fois, l’officier m’a fichu la paix » , indique-t-il. Mais il comprend que « des camarades aient pu céder sous une pression tout sauf amicale ».

    « Ne pas descendre des avions alliés »

    Les élèves du lycée Bartholdi nés en 1926 et 1927 sont envoyés comme Flackhelfer dans la périphérie de Karlsruhe. Ils portent l’uniforme avec un calot bleu. « Comme j’étais fort en maths, on m’a sélectionné comme calculateur de tirs. Mes données étaient envoyées aux camarades qui tiraient » , raconte-t-il. Son ami Francis Finker, scout de France avant la guerre – et dont les parents tenaient la charcuterie de la rue des Têtes –, propose de tout faire pour « ne pas descendre des avions alliés ».

    « On a été la batterie la plus nulle ! Les trois officiers et sous-officiers allemands n’avaient pas compris qu’on sabotait la batterie » , sourit-il. Leurs supérieurs les traitaient de « doofe Elsässer » (Alsaciens obtus). « Mais sans doute en vue d’améliorer nos performances, ils nous obligeaient à ramper torse nu dans les champs de blé, qui venaient d’être moissonnés. On s’entaillait la peau avec les bouts de paille. C’était fait pour nous abrutir. Comme la Hitlerjungend », observe Charles Kohler. Pendant ce temps, les avions américains passaient au-dessus d’eux par vagues de 500…

    La répression s’accentue encore, après l’attentat raté contre Hitler. Le projet de la Kriegsmarine du père de Charles ne se réalise pas. L’armée allemande ayant de plus en plus besoin de chair à canon sur le front russe, Charles est finalement enrôlé dans l’infanterie. Il informe Erika Sittler qu’il va fuir en Suisse. « Si tu fais ça, tes parents et ton frère seront transplantés en Pologne » , réplique-t-elle. Cette femme médecin – ou infirmière, selon certaines sources – le fait hospitaliser à la clinique Saint-Joseph où elle lui plâtre l’épaule et échange la radio avec celle d’un autre malade. « Tu ne parles à personne ! » , lui ordonne-t-elle. Mais on n’est pas sérieux quand on a 17 ans… Dans le couloir, il croise une dizaine d’autres lycéens qui avaient reçu leur convocation. Les religieuses craignent le contrôle du médecin recruteur, mais ce dernier n’est jamais venu. Charles Kohler se demande aujourd’hui encore comment Erika Sittler a pu éviter à ses camarades et à lui-même d’être envoyés au front.

    Le combat européen

    Lorsqu’il n’était plus en sécurité dans la clinique, ce sont les Rentz, des amis viticulteurs à Zellenberg, qui cachent le jeune homme. Il participe même aux vendanges de l’automne 1944. Cependant, le 23 novembre, il part le long de la Fecht pour aller voir sa mère à Colmar. Son père est, ce jour-là, à Strasbourg. Charles ne pourra jamais rentrer à Zellenberg car « la poche de Colmar s’est refermée ». Il reste caché plus de deux mois dans la cave, malgré les injonctions des recruteurs allemands à rejoindre son unité. « Il ne fallait pas sortir dans a rue… » Pendant ce temps, son oncle Paul cache deux jeunes Alsaciens, évadés de Russie dans sa maison de Reichsfeld…

    Le 2 février, Colmar est libéré. Charles s’engage pour la durée de la guerre dans l’armée française. Versé au 8e régiment d’artillerie, il sera calculateur de tir. « Ma formation dans la Flak allemande aura finalement servi ! » , ironise-t-il. Il minimise d’évidence les dangers des derniers mois, durant lesquels son régiment stationnait en Pays de Bade. Il n’a pas envie d’en parler. « J’étais mal à l’aise, je n’aimais pas l’esprit militaire… » , glisse-t-il. Ni sans doute une certaine arrogance des vainqueurs. Le 2 septembre 1945, le Japon capitule. La guerre est terminée pour Charles Kohler. Car un décret permettait aux engagés volontaires de quitter l’armée pour reprendre les études. En décembre 1945, il reprend son cursus à Strasbourg, avant d’intégrer l’école hôtelière de Lausanne. Plus tard, avec sa femme, il suivra des études du droit. À la sortie de la guerre, Charles Kohler ne s’est mêlé ni aux incorporés de force, ni aux anciens combattants. Seule la construction européenne l’intéressait. Le combat de toute une vie, qui l’a mené à s’engager pour Emmanuel Macron.

    (*) Il est l’auteur de L’Histoire de l’Alsace sous l’occupation allemande (éd. Place Stanislas).

     Journal l'Alsace du 23 août 2017

    INCORPORATION DE FORCE : René, chanceux dans son malheur

    75 ans après l’instauration par les nazis de l’incorporation de force en Alsace, les histoires vécues par les Malgré-Nous n’en finissent pas de surprendre. Aujourd’hui âgé de 91 ans et domicilié à Illkirch, René Jund raconte avec un esprit remarquablement clair ses tribulations forcées dans la division Das Reich (Waffen SS) à seulement 17 ans.

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    La vie a décidé pour lui. René Jund est né le 7 août 1926 à Strasbourg ; ce hasard consistant à être un Alsacien de la classe 26 l’a conduit, bien malgré lui, comme beaucoup de ses camarades conscrits, à intégrer les rangs de la Waffen SS en 1944, à seulement 17 ans. René Jund l’affirme pourtant aujourd’hui, dans sa maison d’Illkirch-Graffenstaden, quelques jours après avoir fêté dans une bonne forme apparente ses 91 ans : durant la Seconde guerre, il a eu « beaucoup de chance » ! Parce qu’il a survécu, évidemment, mais aussi parce que, lors de ce passage forcé de quelque six mois dans une unité SS, il ne s’est pas trouvé dans la situation « de tuer quelqu’un, ni même de tirer sur quelqu’un… Et on avait plus à manger que dans la Wehrmacht… » Né un an plus tôt, son frère Alfred a échappé à la SS ; mais, incorporé de force lui aussi, il est parti avec la Wehrmacht en Russie. Et il n’en est jamais revenu : il est décédé sur le front Est en avril 1944.

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    « Les héros, ils sont au cinéma ! »

    René a fait sa carrière professionnelle dans l’électromécanique. Durant les 75 dernières années, il a peu évoqué ses aventures de guerre ; il estimait que d’autres ont bien plus souffert que lui, en particulier ceux qui sont passés par Tambov. Il les raconte aujourd’hui sans pathos, avec distance, l’esprit extrêmement clair. À l’écouter, on constate la remarquable efficacité de son ange gardien, effectivement. Mais on est aussi étonné de voir comment ce gamin eut l’intuition, à plusieurs reprises, de prendre les risques qu’il fallait.

    Le 8 février 1944, René Jund est à peine rentré (depuis deux ou trois semaines) de trois mois de Reichsarbeitsdienst (RAD) qu’il doit monter dans un train militaire. Celui-ci le conduit dans la région de Bordeaux, où on l’affecte à la 11e compagnie du régiment Der Fuhrer de la division Das Reich. « On n’était au courant de rien ! Les SS, je savais que ça existait, mais je ne savais pas vraiment ce que c’était… » Dans cette compagnie, les Alsaciens sont nombreux : « Sur 120 hommes, on devait être 40 ou 50 d’Alsace, tous de la classe 26. » Parmi eux, trois autres habitants d’Illkirch, la ville où René a grandi. Les premiers mois sont consacrés à l’instruction. Les événements s’accélèrent avec le Débarquement du 6 juin 1944 ( « l’invasion » , disent alors les Allemands). Du côté de la Haye-du-Puits, dans la Manche, la 11e compagnie, qui se déplace à pied, est pilonnée par des tirs venant de la Mer. « Ça a duré trois jours et trois nuits. C’était atroce : après ça, la moitié des soldats de notre compagnie étaient morts ou blessés… » Si René s’en est sorti sans encombre, c’est parce qu’il avait été désigné peu avant pour compléter l’équipage d’un blindé qui prenait une autre route… « Ce fut ma première grande chance ! » Dans ces combats du Débarquement ont disparu beaucoup de camarades alsaciens, dont certains, dit-il, « sont enterrés nulle part… J’ai fait tous les cimetières, je n’ai pas retrouvé leurs noms ! »

    On le désigne ensuite pour être agent de liaison. Cette fois, a priori, ça ne ressemble pas à une chance : cette fonction consistant à aller, courbé ou rampant, d’une section à l’autre, à travers l’inconnu, est éminemment dangereuse. « Si j’avais peur de mourir ? Non ! Je me souviens m’être dit, durant de violents tirs de barrage, ‘‘On va crever’’ sans un battement de cœur… Et m’être dit ensuite : ‘‘Tiens, on est encore là !’’ » Même curieux sentiment de voir la mort arriver sans émotion apparente quand il s’est trouvé mis en joue par des Américains, devant une haie ; les GI’s n’ont pas tiré… « Mais nous n’étions pas des héros ! Nous étions juste abrutis par la guerre. Les héros, il y en a surtout au cinéma ! Là-bas, moi, je n’en ai pas vu… »

    La mort, il l’a encore frôlée à deux reprises au moins. Alors qu’il porte un brancard avec un autre SS, il se trouve soudain face à l’ennemi au sortir d’un bois. « Que faire ? J’ai dit : ‘‘On y va !’’ Et on a fait 30 ou 40 mètres à découvert… » Là encore, les Américains ne tirent pas. Le même type de scène se reproduit alors qu’il roule dans un blindé « avec un vétéran de Russie. Trois avions arrivent droit sur nous… Le vétéran est affolé. Mais moi, je me souviens d’un drapeau de la Croix Rouge qui traîne quelque part dans le véhicule. Je le cherche, je le prends, je monte sur le toit, je l’agite… Et ils nous épargnent ! »

    Fossoyeur pour les Américains

    René aurait eu des occasions de déserter (on peut aussi dire « s’évader ») dans le Sud-Ouest. « Je ne l’ai pas fait, parce que je ne voulais pas qu’il arrive quelque chose à ma famille. Elle avait déjà perdu un fils… » Pour fausser compagnie à la sienne, il attend la débandade finale. La bonne occasion se présente « vers la fin juillet. Dans la compagnie, nous n’étions plus très nombreux… On suivait le commandant, en rampant, l’un derrière l’autre. À un moment donné, je m’arrête… Du coup, les trois derrière moi s’arrêtent aussi. » René attend une dizaine de minutes, les suivants font de même. Après quoi, ils partent sur le côté, comme s’ils s’étaient perdus…

    Dans ces quatre faux « perdus » se trouvent deux autres Alsaciens : Charles Daul et Charles Roser. Ils se cachent dans le foin d’une ferme et se rendent aux Américains, qui les traitent en prisonniers. Avant d’être envoyés dans des camps en Angleterre, ils doivent creuser des tombes de l’actuel cimetière américain de Colleville-sur-Mer. « Elles devaient faire plus de deux mètres de profondeur. J’en ai creusé trois en trois jours… »

    En Angleterre, René peut rejoindre les Forces françaises libres le 25 septembre 1944. Mais il reste dans l’île, à s’occuper de mécanique auto. Il ne franchira de nouveau la Manche qu’en juillet 1945. Il entre dans Paris avec l’uniforme français. Quand on l’acclame, il est le seul à songer à ce fait curieux : il n’y a pas si longtemps, l’uniforme qu’il portait était celui des SS… « Je suis finalement rentré en Alsace le 29 juillet 1945. Une semaine avant mes 19 ans ! » Sa vraie vie pouvait commencer.

    Journal l'Alsace :

    INCORPORATION DE FORCE : Ils ont fourni des armes aux Polonais

    Deux incorporés de force alsaciens, qui se trouvaient en 1944 en Pologne, auraient rendu « de grands services à la Résistance polonaise ». Mais ils en ont rarement fait état. Le fils de l’un d’eux, André Fuchs, essaie de faire connaître cette histoire singulière qui témoigne de la diversité des parcours des Malgré-Nous.

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    Aujourd'hui 05:00 par Yolande Baldeweck , actualisé Hier à 22:48 Vu 160 fois

    « Mon père a dit un jour : “Si nous avions sauvé des juifs, nous serions reconnus comme des Justes. Là ce n’étaient que des Polonais.” » , rapporte André Fuchs. L’enseignant strasbourgeois a découvert tardivement que son père, Frédéric Fuchs, dit Fritz, et un autre incorporé de force, René Pierron, ont « fourni des armes et des renseignements à la Résistance polonaise ». Depuis plus de quinze ans, il essaie de faire (re) connaître ces actes d’héroïsme, qui auraient pu valoir le peloton d’exécution aux deux Alsaciens (lire ci-dessous). Seul Jacques Chirac a répondu, en 2005, à son courrier, saluant « le souvenir de ces hommes d’honneur et la loyauté des Alsaciens-Mosellans qui sont restés fidèles à leur patrie ».

    La veste en peaux de lapin de Stéphanie

    Retour aux années cinquante. Un soir, un homme frappe à la porte de la maison des Fuchs, à la Robertsau. « Mon père et lui se sont étreints. Je n’avais jamais vu pleurer mon père. Ils sont entrés dans la Stub et la conversation a duré des heures » , raconte André. Le petit garçon, alors âgé de 7 ans, va se coucher. Le lendemain, Fritz lui dit : « C’était le capitaine Freysz, je l’ai connu pendant la guerre. »

    Il y aura aussi un autre visiteur. « Un certain Monsieur Pierron. Papa l’appelait René. Ils ont fait la guerre ensemble » , se souviendra l’enfant. Il y avait aussi cette veste en peaux de lapin qui l’intriguait. Une veste « toute rapiécée, faite de peaux cousues les unes aux autres, avec des poils soyeux qui donnaient si chaud ». Lorsque Fritz la mettait, sa femme Frieda, épousée en 1942, lui lançait sur un drôle de ton : « Ah, tu mets la veste de Stéphanie ? » « Il n’y avait pas de Stéphanie dans notre famille » , avait constaté le garçon. Lorsque la famille s’installe dans une nouvelle maison, un peu plus loin, la veste de Stéphanie fait partie du déménagement…

    André la prenait parfois pour « jouer à la guerre » avec ses copains… Fritz, lui, parlait peu de sa guerre, à part l’une ou l’autre anecdote. Il avait expliqué à son fils unique le drame des Malgré-Nous, mais sans s’appesantir sur son propre parcours. Né en janvier 1915, il avait étudié au Gymnase Sturm jusqu’au bac, avant de reprendre le train de cultures à la demande de ses parents. Après la guerre, il devint fonctionnaire de la ville de Strasbourg et conseiller presbytéral à la Robertsau. Cet homme amène gardait toujours un certain quant-à-soi. Il se taisait lorsque son beau-frère parlait de « Russland… »

    À son décès en 1999, André Fuchs, professeur d’histoire au collège de La Wantzenau, retrouve sa Bible, avec une petite cocarde tricolore crochetée. « Mon père m’avait dit un jour : “Si je n’avais pas eu la foi, je n’en serai pas revenu” » , témoigne-t-il. Mais surtout, il hérite de ses papiers militaires, avec le certificat de bonne conduite, daté de 1937, du 402e Régiment de défense contre les aéronefs. Lorsque Fritz Fuchs est enrôlé de force dans l’armée allemande, le 3 décembre 1943, il est affecté à une unité de la DCA de la Luftwaffe, avec le grade de sergent.

    Chaque jour, il prend des notes – décès de deux de ses hommes, avions abattus, etc. – dans un petit agenda qui recouvre la période 1944-1945. Son fils, qui a récupéré des photos avec ses camarades, a reconstitué son itinéraire à travers le livret militaire. « En janvier 1944, on le retrouve en Pologne, le front change tous les jours », relève-t-il. Mais surtout, il découvre l’implication de Fritz et de René Pierron dans la résistance intérieure, non communiste. Rien n’est dit de la manière dont les deux hommes ont franchi le pas.

    L’attestation de Rose de Guskowska

    Le 28 avril, leur unité est à Wieliczka, dans le district de Cracovie. En mai 1944, René Pierron et Frédéric Fuchs entrent en contact avec l’ « Armia Krajowa » , à Sledziejowice, dans le domaine de Rose de Guskowska-Janicka. Membre de la noblesse polonaise, elle lutte avec ses trois enfants, depuis 1941, contre l’occupant. Dans un rapport rédigé le 12 mai 1948, alors qu’elle est exilée à Everleigh, en Angleterre, elle revient sur le parcours des deux Alsaciens. Ils lui avaient laissé leurs adresses. Une révélation pour André Fuchs. « M. Pierron et son ami (Frédéric Fuchs) ont acquis notre confiance par leur haine des Allemands, leur grand patriotisme français, ainsi que des documents signés par des Polonais auxquels ils sont venus en aide » , témoigne Rose. Les deux Malgré-Nous ont procuré à son groupe « des armes et des munitions très précieuses ». Mais surtout, René Pierron la prévient que « les Allemands étaient au courant du projet polonais d’insurrection nationale et avaient pris des dispositions pour mater le soulèvement ». « Prévenu, notre commandement a pu changer la date du soulèvement et éviter des pertes considérables pour notre armée et notre population civile » , souligne la résistante.

    Elle raconte qu’elle avait proposé à René Pierron de déserter. « Étant classé comme politiquement non fiable depuis son emprisonnement, il savait que ses parents seraient déportés » , écrit-elle encore. Et de préciser : « Après la Libération de l’Alsace, son évasion était prévue le 14 janvier 1945. Mais son plan fut déjoué par l’offensive prématurée de l’armée allemande… » Les deux Alsaciens, qui avaient quitté le secteur, connaissaient l’avancée des alliés à l’ouest. Le 24 novembre 1944, Fritz note « Tête de pont américaine sur Strasbourg » dans son agenda. Le 26 décembre, il évoque aussi « des lettres de Mme Guskowska, de Carolina et de Stéphanie ». Le 12 janvier, c’est effectivement l’offensive générale russe.

    La 17e Armée allemande fait face aux 59e et 69e divisions de l’Armée rouge (*). Avec 2 millions d’hommes, les Russes, partis de la Vistule pour aboutir à l’Oder, étaient presque quatre fois plus nombreux que les Allemands. L’hiver est glacial. Le 20 janvier, l’unité de Fuchs refuse d’attaquer de front les troupes russes. Un officier SS met les hommes en joue avec son arme. L’un d’eux le fauche d’une rafale de MP 40, avec ce commentaire sarcastique : « Mort au champ d’honneur… »

    « Je suis le fils du Dr Freysz »

    Le lendemain 21 janvier, jour de la libération de Cracovie par les Russes, un obus explose à 13 h 30 au-dessus de la batterie. Grièvement blessé à la jambe, Frédéric Fuchs va traîner – alors que l’armée allemande est en déroute – de longs mois d’infirmeries en hôpitaux de campagne. Il finit par être rapatrié à Polenz, en Saxe. Le 9 mai, il apprend la capitulation de l’armée allemande. Et deux jours plus tard, les Américains investissent les lieux.

    Un capitaine apostrophe Fritz Fuchs : « Sie sind Deutscher ! » L’Alsacien se défend âprement : « Je suis Français. » Lorsqu’à bout de nerfs, il lâche un juron en alsacien, l’Américain change de ton : « Tu es le Fuchs du Fuchs-am-Buckel ! Je suis le fils du Dr Freysz de la Robertsau… » Une rencontre improbable comme on n’en voit qu’au cinéma ! L’officier prend les choses en main. Le « prisonnier » – dont la fiche porte la mention « soldat français » – est pris en charge par la 1stHospital Unit qui accompagnait la 1re Armée américaine. Rapatrié le 25 mai par avion sanitaire de Merseburg à Mourmelon, l’Alsacien arrive le 1er juin à Paris et prend le lendemain soir le train pour Strasbourg. « Quand on sait les souffrances endurées par les prisonniers dans les camps russes comme Tambov, et le temps mis pour rentrer en France, cela tient du miracle », observe André Fuchs. On aimerait en savoir plus sur les personnages cités dans ce récit. Originaire du nord de l’Alsace, René Pierron, traducteur au Conseil de l’Europe après sa création en 1949, est décédé dans un accident de voiture. Pourquoi avait-il été emprisonné par les Allemands ?

    Que sont-ils devenus ?

    Nulle trace dans les ouvrages historiques du capitaine Freysz. Comment s’est-il engagé dans l’armée américaine ? Ses parents étaient restés en Dordogne après l’évacuation, pour ne rentrer à Strasbourg qu’à la Libération. Une rue de la Robertsau porte le nom du Dr Maurice Freysz, ancien conseiller d’arrondissement, décédé en 1958. Il avait deux fils, Robert et Pierre, nés en 1896 et en 1897, décédés l’un à Rouen, l’autre à Dolus d’Oléron, loin de l’Alsace. Quant à Rose de Guskowska, a-t-elle vécu la chute du Mur ? Sans oublier la jolie Stéphanie qui avait offert sa veste à Fritz…

    (*) L’historienne Lise Pommois rappelle aussi que le camp d’Auschwitz, situé près de Cracovie, a été libéré le 27 janvier par la 322e division russe.

     

    L'Alsace du 13 août 

    « Qu’est-ce qu’on va dire de nous ? »

    Le 25 août marquera le 75e anniversaire du décret signé par le Gauleiter Wagner, instaurant l’incorporation de force en Alsace. D’autres territoires européens ont été concernés, rappelle l’historien Frédéric Stroh, qui s’interroge sur la transmission de cette « mémoire plurielle ».

    Le III e Reich s’est agrandi à partir de 1933, avec des territoires sous statuts différents. Ont été enrôlés entre 295 000 et 750 000 Polonais, 127 500 Alsaciens-Mosellans, 39 000 Slovènes, 9 100 Luxembourgeois et 8 000 Belges. DR/Frédéric Stroh« Soixante-quinze ans après les décrets d’août 1942, qui va porter le souvenir de l’incorporation de force, alors que les associations voient leurs adhérents disparaître et que l’Alsace a perdu son entité politique ? Les derniers incorporés de force encore en vie sont inquiets et se demandent : Qu’est-ce qu’on va penser de nous ? » résume Frédéric Stroh, 34 ans, doctorant en histoire contemporaine à l’université de Strasbourg et au centre Marc-Bloch de Berlin. Avec un universitaire allemand, Peter Quadflieg, il publie les actes du colloque, organisé en 2012 à Strasbourg, sur l’incorporation de force en Europe.

    Frédéric Stroh, doctorant en histoire contemporaine.   Photo  L’Alsace/ D. Gutekunst

    Une histoire commune mais plurielle

    Car l’Allemagne nazie a imposé le service militaire obligatoire, de manière illégale, à au moins 500 000 étrangers. Il s’agit, par ordre décroissant, de Polonais, Français d’Alsace et de Moselle, Slovènes, Luxembourgeois, Belges d’Eupen et de Malmedy, Croates. « Une histoire commune, mais plurielle » , souligne-t-il, en notant qu’elle a peu intéressé les historiens allemands, si ce n’est à travers les condamnations prononcées à Torgau.

    Frédéric Stroh – qui termine une thèse sur la répression judiciaire des homosexuels en Alsace et au Pays de Bade – note « une exacerbation des conflits mémoriels ». « Après l’indemnisation par l’Allemagne, puis la reconnaissance par Nicolas Sarkozy, il y a une nouvelle revendication de reconnaiss-ance » , analyse-t-il. Depuis l’indemni-sation des orphelins juifs par l’État français, dans les années 2000, des associations demandent que l’incorporation de force soit reconnue comme un crime contre l’humanité par l’État français.

    « Cette demande ne rentre pas dans la définition juridique. L’incorporation de force est assurément un crime de guerre, qui contrevenait à la Convention de La Haye de 1907, mais pas un crime contre l’humanité », affirme-t-il. Ses arguments ? « Il n’était pas question de persécuter une race jugée inférieure. Il n’y a pas eu de plan à l’échelle européenne, dans un but de déportation ou d’extermination comme pour les juifs. » D’ailleurs, « la plupart des incorporés de force ont été traités de la même manière que les autres soldats allemands ».

    Contre le négationnisme

    Il rappelle aussi que « dès le lendemain de la guerre, les procureurs français ont plaidé devant le Tribunal international de Nuremberg que l’incorporation de force serait un crime contre la condition humaine. Mais le Tribunal de Nuremberg n’a pas parlé de l’incorporation de force dans son jugement » , assure-t-il, regrettant que « cette nouvelle revendication, en dépit de tous les progrès obtenus dans la reconnaissance, continue à alimenter un discours victimaire et revendicatif ». Selon l’historien, « c’est une sorte de fuite en avant qui ne fait qu’entretenir la souffrance collective… »

    Pour autant, il lui semble « indispensable de lutter contre le négationnisme qui voudrait faire des incorporés de force des volontaires » . Il insiste sur « la reconnaissance morale de l’incorporation de force par l’État allemand, qui se pose assurément encore ». Quel chef d’État français interpellera la chancelière ?

    Cependant, et cela renvoie au débat sur le Mur des noms que la région va édifier au Mémorial à Schirmeck, Frédéric Stroh estime que « la demande de reconnaissance ne suppose pas d’amalgamer toutes les victimes ». « Ce n’est pas faire justice à la vérité historique. Tous les incorporés de force n’étaient pas des Malgré-Nous » , constate-t-il, en poursuivant : « Chacun s’est positionné en fonction du contexte familial ou régional dans lequel il a évolué… » Cela pose aussi la question de leur comportement au front et celle de leur éventuelle participation à des crimes de guerre, sujets qui n’ont jamais été documentés.

    Collecte d’archives privées

    L’universitaire s’étonne des débats autour de la désertion. « Il y a ceux qui se sont cachés et ceux qui ont rejoint le maquis après les décrets de 1942. Pour les historiens, résister c’est agir par les armes » , appuie-t-il. Sans minimiser la répression visant les jeunes qui se sont dérobés à la Wehrmacht et leurs familles, il considère que « les oppositions ont aussi parfois permis de limiter l’ampleur des recrutements ». Ce fut le cas de la grève générale au Luxembourg… « De même, le refus de certains officiers de réserve alsaciens d’être incorporés a empêché que tous soient recrutés » , relève-t-il. Ils l’ont cependant payé par la déportation au camp de Neuengamme.

    « Quel sens peut-on donner aujourd’hui au souvenir de l’incorporation de force ? » , interroge encore Frédéric Stroh qui défend l’idée d’ « une prise en compte de la diversité des parcours passés » , portée par le Grand Est, la France et l’Allemagne, et même l’Europe. Il préconise d’en faire « un objet d’histoire, en lançant une collecte d’archives privées, comme cela a été fait pour la Première Guerre mondiale ». Pour lui, ces documents – il pense aux carnets des Malgré-Nous ou aux livres écrits pour les familles – doivent être numérisés pour servir à des recherches scientifiques. À l’entendre, il est faux de dire que les doctorants ne s’intéressent pas à l’histoire de l’Alsace. « Qu’on leur propose des bourses… »

    MUR DES NOMS : L’important, c’est d’interroger l’histoire

    6 mai 2017

    Professeur émérite de l’université de Strasbourg, le sociologue Freddy Raphaël revient sur le projet de Mur des noms à Schirmeck. Mais il insiste sur la création d’« un centre de recherches et de transmission pédagogique ». Un point qui tient également à cœur au grand rabbin René Gutman.

    Le Mur des noms au Mémorial de la Shoah, à Paris. Une « trace » des 76 000 victimes juives françaises. À l’intérieur, on accède aux fiches de chaque victime.Photo  L’Alsace/ Yolande Baldeweck

    Lien vers le journal l'Alsace.

    Depuis cinquante ans, le sociologue Freddy Raphaël scrute la mémoire plurielle de l’Alsace. Sans complaisance, mais avec bienveillance. La polémique autour du Mur des noms, à Schirmeck, avec toutes les victimes alsaciennes et mosellanes de la Seconde Guerre mondiale, ne l’a pas surpris. « En Alsace, plus que dans d’autres régions, il reste des cicatrices très vives dues à des douleurs et à des expériences contrastées, voire opposées, pendant la Seconde Guerre mondiale » , rappelle-t-il. Il met en garde contre une idée reçue : « La mémoire n’accumule pas les souvenirs, elle reconstruit le passé en fonction des interrogations du présent. »

    Le projet de Mur des noms lui paraît pertinent. Évoquant celui du Mémorial de la Shoah, à Paris, il glisse : « C’est une trace des miens. » Mais il comprend l’émotion suscitée par une seule liste alphabétique, contestée par les déportés et résistants (lire L’Alsace du 3 avril dernier) et par la communauté juive. « Il faut, à la fois faire mémoire de l’ensemble des victimes alsaciennes, quelles qu’aient été leurs expériences. Mais il faut respecter la diversité des engagements voulus ou des expériences subies », souligne-t-il, en préconisant « un mur découpé en plusieurs sections qui prennent en compte les différents destins ».

    Il y aurait ainsi « une section pour les déportés raciaux et politiques, une section pour les résistants, une autre section pour les incorporés de force, à l’exception des volontaires ». « Un certain nombre de jeunes ont été versés, sans l’avoir voulu, dans la Waffen SS et ont dû participer à des actions où des garçons de 17 ans ont été privés de tout choix » , observe l’universitaire… qui n’oublie pas pour autant les victimes civiles.

    Se recueillir ne suffit pas, il faut un travail de réflexion

    Pour Freddy Raphaël, se recueillir ne suffit pas. Il plaide pour un projet plus ambitieux et qui ne se limite pas aux bornes informatiques permettant d’accéder aux fiches des victimes « Ce mur n’a de sens que s’il est accompagné d’un centre de recherches et de transmission pédagogique, sur le modèle de l’Historial de Péronne, dans la Somme, consacré à la Première Guerre mondiale » , affirme-t-il, en proposant de faire appel à des chercheurs de l’université et du CNRS, et à des pédagogues.

    Deux axes de réflexion s’imposent, selon lui, le passé entrant en résonance avec le présent. « Il faut étudier comment dans l’entre-deux-guerres, des mouvements ont pu se constituer, qui ont préparé la mainmise sur l’Alsace-Lorraine par le nazisme. Étudier le rôle des ligues nationales qui ont trouvé des relais agissants et des hommes de main qui prendront du poids dans l’Alsace annexée » , explique-t-il. Pour aujourd’hui, « des recherches doivent porter sur la maniè-re dont s’organisent en Alsace des organisations qui se réclament de formes contemporaines du racisme et du fascisme ».

    Lui qui a été « un enfant traqué pendant la guerre, qui doit sa vie à des gens de tous bords » , déplore le climat actuel. « On assiste à la banalisation de la xénophobie et au refus de la différence, au lieu de se sentir enrichi par la différence ». Le sociologue (qui continue, à 80 ans, de suivre des doctorants) tire la sonnette d’alarme. Il discerne « des éléments d’une idéologie comparable à celle de l’entre-deux-guerres en Alsace et en Lorraine, avec l’exploitation du malaise réel d’ordre économique et d’ordre culturel ». D’où « ce travail sur la mémoire qui permet de mieux appréhender ce qui est en train de se jouer ».

    « C’est une mémoire non cicatrisée », estime de son côté le grand rabbin René Gutman, à propos des débats autour du Mur des noms. L’ancien président du consistoire, Jean Kahn, décédé en 2013, était d’ailleurs « opposé à un mur qui mélange toutes les victimes ». Le grand rabbin de Colmar, lors d’une réunion, a cependant « justifié un mur commun par l’annexion de l’Alsace-Moselle, ce qui faisait de tous les habitants des victimes » , explique René Gutman, en précisant que « cet argument a été repris par le président de la région Philippe Richert » qui porte le projet.

    Un mur, trois murs… ou un mur sans noms ?

    « Il s’est heurté cependant aux anciens résistants et aux familles de déportés. Ces dernières ne peuvent accepter que leurs morts soient associés aux enrôlés de force, et encore moins aux Waffen SS qui, bien qu’enrôlés de force, ont pu participer à des massacres » , analyse le grand rabbin Gutman. Cela était perceptible, le 23 avril dernier, lorsque les noms des victimes alsaciennes de la Shoah ont été lus place Broglie…

    « Faut-il un mur, trois murs… ou un mur sans noms ? L’essentiel n’est pas dans le monument, mais dans l’apport pé dago gique, la manière dont l’his toire sera transmise aux générations futures » , appuie René Gutman. Il regrette que « ce travail pédagogique qui existe, ait été pensé comme annexe, alors qu’il est plus important que le mur lui-même ». Mais il faudrait aller plus loin, suggère-t-il, pour que « chaque personne soit identifiée par son histoire, son destin… »

    Il lui semble dommage que « les Malgré-Nous ne se soient pas plus exprimé sur les combats auxquels ils ont participé ». Sur la manière dont les populations – et en particulier les juifs – ont réagi. « Ils auraient pu nous dire des choses qu’eux seuls savent », suggère sans acrimonie René Gutman. Car pour lui, « Les Malgré-Nous ont droit à leur mémorial ».

    Des plaques différenciées

    « On ne peut pas mélanger les noms, quels que soient les drames des uns et des autres », juge aussi Pierre Lévy, délégué régional du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) Alsace, qui déplore que « les fils et filles de déportés, pas plus que les résistants, n’aient pas été consultés pour ce Mur des noms ». Pour lui, « il faut des plaques différenciées, ou alors uniquement des plaques pour les incorporés de force ». Les déportés juifs – à l’instar de son père – sont répertoriés sur le Mur du Mémorial de la Shoah. Y retrouver un nom est émouvant. Mais découvrir, sur la base de données, la photographie de la personne permet de s’approprier le drame des 76 000 victimes françaises, assassinées par les nazis. Il y a là un exemple pour le Mémorial de Schirmeck.

    MUR DES NOMS : Non à la confusion des victimes

    Lien vers le journal l'Alsace

    Le Mur des noms, projeté par le conseil régional dans la montée du Mémorial d’Alsace-Moselle, continue de susciter des réactions. Plusieurs proposent une alternative au projet actuel.

    Le 09/04/2017 05:00 par Yolande Baldeweck , actualisé le 08/04/2017 à 23:08 Vu 689 fois

    La presse suite

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    Nous redisons non à un Mur des noms qui comporterait par ordre alphabétique le nom de soi-disant toutes les victimes civiles et militaires de la Deuxième Guerre mondiale. C’est un non catégorique » , martèle François Amoudruz, ancien résistant-déporté, vice-président de la Fondation pour la mémoire de la déportation. Écarté des débats récents, il se souvient d’avoir « entendu parler, des années en arrière, d’un projet dédié strictement aux incorporés de force dans la Wehrmacht et les Waffen SS ».

    La même histoire

    François Amoudruz a découvert l’existence d’une commission scientifique dans la tribune de Philippe Breton dans les DNA. « Le projet avait pris une autre tournure, avec la volonté d’élargir le cercle » , s’étonne-t-il, surpris que « le président de la région ait déclaré que toutes les associations mémorielles et du monde combattant ont donné leur accord ». « C’est faux, nous n’avons pas été consultées » , appuient Marie José Masconi et Arlette Hasselbach, présidentes pour le Bas-Rhin et pour le Haut-Rhin des amis de la Fondation de la mémoire de la déportation. Depuis, toutes deux ont rencontré Pascal Mangin, président de la commission culture.

    « Le mur ne peut recenser que des personnes qui ont eu la même histoire » , soutient Marie José Masconi qui, avec Arlette Hasselbach, assure un rôle pédagogique auprès des jeunes. « Plutôt que la déploration des victimes, nous proposons une introduction sur les spécificités des trois départements [les deux alsaciens et la Moselle, NDLR] et la liste des incorporés de force dans la Wehrmacht et les Waffen SS, morts pour la France » , précise Arlette Hasselbach. Elles laissent « la porte ouverte à une plaque citant les autres catégories… »

    Noms par catégorie ?

    « Mais on ne peut pas travestir l’Histoire en transférant les incorporés de force dans la Waffen SS à la Wehrmacht » , s’insurge François Amoudruz. Son épouse, Liliane, d’origine juive, ne comprend pas non plus que « des rabbins aient donné leur accord à une liste alphabétique… » « Il avait été décidé que les noms seront regroupés par catégorie. Nous mainte nons cette demande » , écrit, de son côté, Marie-Noèl Diener-Hatt, présidente du Comité pour la mémoire de la brigade Alsace-Lorraine. Cette docteure en histoire insiste sur « le devoir de nommer précisément les acteurs et les drames, démêler l’entrelacs des implications individuelles et collectives ». « Si on renonce à ce classement, nous demandons que ce mur ne présente que la spécificité des trois départements annexée qui est l’incorporation de force dans l’armée nazie » , prévient Marie-Noèl Diener-Hatt. En revanche, « le pupitre numérique devra comporter les noms des résistants alsaciens et mosellans ».

    « Une telle liste sera épluchée et contestée. Certaines déclarations de morts pour la France sont intervenues de manière tardive » , craint Bernard Rodenstein, ancien président de l’Association des orphelins de guerre d’Alsace. Il y a quatre ans, il avait fait part de son opposition au Mur des noms, préconisant « une œuvre d’artiste symbolisant ce crime de guerre, devant laquelle les familles pourraient se recueillir… »

    Pour sa part, le professeur Philippe Breton fait observer qu’il n’a « jamais affirmé, ni écrit que les Alsaciens furent volontaires pour les pelotons d’exécution à Oradour » , comme le laisse entendre Gérard Michel, président des Orphelins de pères Malgré-nous ( L’Alsace du 2 avril). Et d’expliquer : « Parce qu’on n’en sait rien. Et cela justifie une très grande prudence dans l’approche d’un tel projet… » La balle est dans le camp des politiques.

    Ces familles déportées par les nazis

    lien vers le journal
    On a souvent évoqué, à juste titre, les parcours des Malgré-Nous, prisonniers, réfractaires et autres libérateurs. Mais on a moins parlé d’autres victimes alsaciennes de la guerre : les familles déportées parce que l’un des leurs avait fui l’Alsace nazie. En cette Journée du souvenir de la déportation, quatre Sundgauviens se souviennent de la leur.

    Textes : Hervé de Chalendar Photos : Thierry Gachon


    De gauche à droite, devant la maison de Jacqueline Schneider, à Oltingue : Théo Gesser, Georges Sengelin, Albert Sengelin et Pierre Mattler. Lors de la déportation, ils avaient entre 10 et 16 ans. Pierre a tenu à porter son béret car, dit-il, « pendant la guerre, j’ai eu droit à une amende de 5 marks parce que je l’avais mis ! ».Photo L’Alsace
    De gauche à droite, devant la maison de Jacqueline Schneider, à Oltingue : Théo Gesser, Georges Sengelin, Albert Sengelin et Pierre Mattler. Lors de la déportation, ils avaient entre 10 et 16 ans. Pierre a tenu à porter son béret car, dit-il, « pendant la guerre, j’ai eu droit à une amende de 5 marks parce que je l’avais mis ! ».Photo L’Alsace

    23 février 1943, 3 h du matin, à Roppentzwiller, près de Vieux-Ferrette. La famille de Théo Gesser est réveillée par des crosses de fusils tambourinant contre les portes et les volets. « Je n’avais pas encore 11 ans , raconte Théo, qui en a présent 83. Je ne comprenais pas tout, mais mes parents, eux, s’y attendaient. On a eu trente minutes pour préparer nos bagages. 71 personnes du village ont été déportées ce même jour. Nous, nous étions six : les parents et quatre enfants. Un voisin m’a souvent dit, après-guerre, quand il me croisait : “J’entends encore ta mère pleurer le jour où ils vous ont cherché…” »

    « J’entends encore ta mère pleurer… »
    La famille Gesser « payait » ainsi le départ de trois de ses fils pour la Suisse quelques jours plus tôt. Ces jeunes gens préféraient combattre du côté allié que du côté nazi (deux d’entre eux ont réussi à intégrer la 1re Armée française). Les nazis exerçaient alors les représailles sur les familles conformément à ce qu’avait clairement annoncé le Gauleiter Wagner (lire ci-contre).

    Trois jours plus tard, le 26 février 1943, c’est le village de Durlinsdorf qui est touché, où 36 personnes sont arrêtées. Dont Pierre Mattler, âgé de 10 ans lui aussi, sa sœur de 12 ans, son frère de 13 ans et sa sœur de 17 ans. Deux de leurs frères avaient franchi la frontière. « On a été déportés tous les quatre, sans nos parents : c’est ma sœur aînée, Lucie, qui a veillé sur nous , précise Pierre. Mon père était décédé en 1939 et maman souffrait d’une pleurésie : ma sœur Jeanne a obtenu qu’elle reste au village avec elle. Mais ensuite, les deux ont été envoyées au camp de Schirmeck. Pendant le restant de sa vie, maman a toujours tremblé quand elle voyait un uniforme… »

    Ces scènes se sont succédé dans le Sundgau, village après village. Le 1er mars 1943, ce sont une trentaine de familles de Hirsingue qui sont arrachées de nuit à leurs maisons. Georges Sengelin – né en 1930, un frère réfractaire – et Albert Sengelin – né en 1927, trois frères réfractaires –, qui portent le même patronyme mais sont de foyers différents, peuvent cette fois en témoigner. « C’était aussi vers 3 h , raconte Albert. On devait être prêts en une heure et n’emporter que 20 kg de bagages. Je me souviens d’un soldat qui a dit qu’il préférerait être au front plutôt que de faire ce boulot-là… » « Quand on voyait l’état mental de ses parents… , ajoute Georges. Ce sont des moments inoubliables. » Albert a été déporté avec son père, « un petit paysan qui possédait trois vaches et deux bœufs, et avait fait partie de la garde impériale de Guillaume II en 14-18 ». Georges est parti avec ses parents et sa sœur. « Mais il y avait aussi une tante et sa fille à la maison, et les Allemands voulaient les embarquer elles aussi ! Heureusement, elles ont finalement pu rester… »

    Ces familles ont d’abord été convoyées à l’institut Sonnenberg de Carspach ou à la Halle-aux-Blés d’Altkirch. « On a dormi deux nuits sur la paille, à Carspach, avant d’être mis dans un train » , se souvient Georges. C’était alors le voyage vers un inconnu forcément sombre. Il paraît que, parfois, dans les wagons, s’élevait une Marseillaise.

    Au terminus, à l’Est, il y avait des camps : Schelklingen, Siessen, Riesa, Grosshennersdorf… Souvent, les familles étaient trimballées de l’un à l’autre. Celle de Théo en a connu trois. « Nous étions une trentaine dans une seule chambre , raconte Georges. Dans cette chambre, il y eut une naissance et un décès. Ça marque, à cet âge… » Mais sa famille a eu de la chance : en octobre 1943, elle a obtenu le droit d’aller loger chez une tante, à Offenbourg. « On était serrés, mais on était chez soi… » , commente Georges.

    En déportation, à partir de 14 ans, tout le monde devait travailler. « Moi, j’ai travaillé sur le chantier de construction d’une usine, près de la frontière tchèque , raconte Albert. On a souffert, et parfois de la faim, mais les conditions n’étaient pas si dures qu’en camp de concentration. »

    « Mon frère avait deux ans de plus, et il a travaillé chez un menuisier , précise Théo. Mon père, qui était tisserand de métier, a dû faire bûcheron. Moi, je suis allé à l’école du village, avec les enfants allemands… » Même si Georges a réussi à devenir par la suite instituteur et secrétaire de mairie, « notre scolarité a été fichue , remarque Théo. Ce fut un handicap pour toute notre vie. »

    Les maisons dévastées
    Le retour en Alsace n’a pas pu se faire avant le printemps 1945. Et pour trouver quoi ? Des maisons pillées et des regards fuyants. « Un pont avait sauté pas loin de la maison , raconte Théo. Il y avait du gravier dans la salle à manger, de la paille dans les chambres. Tout était vidé, à moitié démoli… » « Mes parents étaient restaurateurs , poursuit Georges. L’endroit avait été occupé par une famille allemande. À notre retour, il n’y avait plus un meuble, plus un verre. L’État ne s’est pas occupé de nous, alors que l’on avait juste accompli notre devoir patriotique… »

    Après-guerre, il est arrivé que les déportés reconnaissent une table chez un voisin… Mais longtemps, comme pour tous ces traumatismes de guerre, on a préféré oublier tout ça. Sans y parvenir, évidemment. Ces personnes ont été brisées, moralement et physiquement. Encore aujourd’hui, Georges s’interroge : « Je me demande comment mes parents ont pu supporter tout ça… »

    RÉSISTANCE

    Sur la trace des « Wodli » mulhousiens (janvier 2016)

    Lien vers le journal l'Alsace


    Le réseau ouvrier de Résistance animé lors de la Seconde Guerre par le Strasbourgeois Georges Wodli avait essaimé dans le Haut-Rhin. Sur Mulhouse, un groupe, qui aurait projeté un attentat contre la Gestapo, se réunissait autour de Viktor Kunz. Son arrière-petite-fille, la cinéaste allemande Carmen Eckhardt, vient de lui consacrer un film-documentaire.

    Aujourd'hui 05:00 par Textes : Hervé de Chalendar , actualisé Hier à 22:00 Vu 355 fois
    Gilbert Weiss tenant une photo de son père Armand, résistant mulhousien, membre du groupe de Viktor Kunz. Il est entouré par deux personnes qui effectuent des recherches sur le parcours de ces résistants : l’Alsacien Jean-Paul Bruckert (à gauche) et l’Allemand Hans-Peter Goergens. Photo L’Alsace/

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    Gilbert Weiss tenant une photo de son père Armand, résistant mulhousien, membre du groupe de Viktor Kunz. Il est entouré par deux personnes qui effectuent des recherches sur le parcours de ces résistants : l’Alsacien Jean-Paul Bruckert (à gauche) et l’Allemand Hans-Peter Goergens. Photo L’Alsace/

    Il y a six mois, le passé de son père a fait irruption dans la vie de Gilbert Weiss. C’était le 28 juillet 2015, en parcourant L’Alsace , comme chaque matin. « J’ai vu un article sur la Résistance : le sujet m’intéresse, alors j’ai commencé à lire… » L’article est signé par notre confrère Michel Schwindenhammer. Il évoque le « funeste destin » de Viktor Kunz. L’homme dirigeait un groupe de résistants mulhousiens ; il a été exécuté par les nazis en août 1943 et son arrière-petite-fille, la cinéaste allemande Carmen Eckhardt, vient de lui consacrer un film documentaire. Dans cet article sont mentionnés les noms de six camarades de Kunz, également arrêtés et emprisonnés (mais pas condamnés à mort) par la Gestapo : Flora Trefzer, Joseph Rudler, Eugène Klinger, Charles Scheer, Albert Bingler et Armand Weiss. Il est mentionné que ce dernier est né le 20 juin 1909 à Mulhouse ; pas de doute, il s’agit bien du père de Gilbert.

    Infiltrés par la Gestapo
    « Il est mort quand j’avais deux ans : je suis né en octobre 1946 et il est décédé en décembre 1948 » , précise Gilbert, ancien chef de service aux Mines de Potasse, dans sa maison de la cité Rossalmend, à Staffelfelden. Des certificats médicaux ont alors estimé que ce décès était consécutif à des coups à la tête reçus lors de son internement en Allemagne. Pupille de la Nation, Gilbert a retrouvé dans les archives familiales des déclarations sur l’honneur signées en 1949 par les camarades résistants de son père. Elles avaient levé une partie du voile sur son activité secrète et sur celle de son réseau dans les années 42 et 43. Avec la réalisation du film allemand, ce voile se soulève un peu plus encore, plus de 70 ans plus tard.

    Gilbert est entré en contact avec Jean-Paul Bruckert, cité dans l’article. Cet habitant de Vieux-Thann de 86 ans s’intéresse de près à l’histoire de la Résistance : son beau-père, Robert Foehrenbacher, faisait partie du maquis de la Walkapelle et fut l’un des onze résistants exécutés par les nazis à Rammersweier (près d’Offenbourg, en Allemagne) le 6 décembre 1944 ( L’Alsace du 28 septembre 2014). Jean-Paul Bruckert est lui-même en relation avec un habitant de Rammersweier, Hans-Peter Goergens, syndicaliste retraité de la métallurgie (IG Metall), qui a entrepris d’aider Carmen Eckhardt dans ses recherches. Et jeudi, Jean-Paul et Hans-Peter étaient chez Gilbert, dans le Bassin potassique, pour échanger documents et informations.

    Si le syndicaliste allemand se passionne pour ces résistants alsaciens, c’est parce qu’ils étaient eux aussi dans un mouvement ouvrier : le groupe de Viktor Kunz était une des émanations haut-rhinoises du réseau de Georges Wodli (1900-1943), grande figure de la Résistance ouvrière au nazisme en Alsace. Ajusteur aux ateliers ferroviaires de Bischheim, syndicaliste et militant communiste, Wodli est mort sous les tortures de la Gestapo le 2 avril 1943 à Strasbourg.

    Le voile qui se découvre sur ces « Wodli » du Haut-Rhin laisse encore dans l’ombre quelques pans de leur histoire, en particulier concernant l’action la plus spectaculaire qu’on leur prête : un projet d’attentat contre la Gestapo à Mulhouse. Leurs autres activités consistaient à collecter des vêtements civils pour les prisonniers de guerre et de l’argent pour soutenir les familles, organiser des sabotages, dérober du matériel dans une usine d’armement, etc. Armand Weiss (qui fut ébéniste et cheminot) aurait aussi servi de passeur vers Rougemont-le-Château et continué son activité résistante lors de son internement en Allemagne.

    Le groupe est tombé parce qu’il a été infiltré par des agents de la Gestapo. Six des sept membres (Bingler a été interpellé le lendemain) ont été arrêtés le 13 septembre 1942 lors d’une réunion dans un restaurant de Bruebach. Le restaurateur, René Ehrard, a été envoyé au camp de Schirmeck.

    Diffusion en mars
    Le film de Carmen Eckhardt dure 95 minutes et s’intitule Viktors Kopf (La tête de Victor). Ce n’est pas un documentaire uniquement historique : il raconte d’abord l’enquête, et la quête, de la réalisatrice sur les traces de cet énigmatique Viktor Kunz (voir ci-dessous), qui était le père d’une de ses grands-mères. Ce film doit être diffusé à partir de ce mois de mars dans des cinémas, écoles et lieux de mémoire. Hans-Peter Georgens a pu voir le voir en avant-première à Cologne le 2 décembre dernier. Il formule aujourd’hui un vœu : que la carrière de ce film passe par l’Alsace, et en particulier par Mulhouse.

    EN SAVOIR PLUS Le site du film : www.viktorskopf.de

    CONTACTER Jean-Paul Bruckert, à Vieux-Thann, au 03.89.37.83.91

     

    http://www.lalsace.fr/haut-rhin/2015/10/13/parque-comme-du-betail-par-les-americains?utm_source=direct&utm_medium=newsletter&utm_campaign=en-alsace

    IL Y A 70 ANS
    Parqué comme du bétail par les Américains
    Il y a 70 ans, le Reich allemand avait capitulé depuis cinq mois, mais ce n’était pas encore la fin des souffrances pour tous. Incorporé de force dans les Waffen SS, André Haas, de Muespach, se trouvait alors dans un camp de prisonniers tenu par les Américains. Parce qu’il était SS malgré lui, il devait dormir dehors, dans un trou qu’il s’était creusé.

     

    André Haas est de la classe alsacienne maudite : celle de 1926. Celle qui, souvent, s’est retrouvée incorporée de force dans la Waffen SS. Quand il est parti malgré lui sous cet uniforme terrible, il n’avait que 17 ans. Il en a 89 depuis vendredi et il vit toujours, avec son épouse Marie-Louise, dans la maison paternelle de Muespach. André a subi une attaque cérébrale à l’automne 2010. Il n’est plus en mesure d’évoquer ses souvenirs de guerre, mais le traumatisme demeure : il lui arrive de citer le nom d’Adolf Hitler devant les aides-soignantes…

    Heureusement, cet homme qui a mené la carrière paisible d’un employé de bureau dans une société de transports, à Saint-Louis, avait couché par écrit, sur une dizaine de pages manuscrites, un résumé de son parcours durant la Seconde Guerre. Et, surtout, deux mois avant son attaque, sa nièce et filleule, Marie-Line Allen, avait procédé à une interview filmée dans le cadre d’un projet scolaire en Californie, où elle enseigne le français (lire ci-dessous). Dans cet entretien d’une heure, sautant souvent du français au dialecte, André raconte cette période comme il ne l’avait sans doute jamais fait. Avec franchise, pudeur et émotion. « Je crois qu’avec l’âge, il avait besoin de parler et, d’une certaine manière, de se faire pardonner » , confie aujourd’hui sa filleule. Car même quand on n’y est pour rien, il est parfois difficile d’échapper au sentiment de culpabilité…

    « 30 kilos 400… »
    Nous reprenons aujourd’hui des extraits de ces témoignages d’André, issus de ces deux sources : son texte manuscrit et la vidéo de Marie-Line. Subjectifs, certes, mais d’abord sensibles, tous les souvenirs de ces témoins de l’horreur doivent être écoutés. Ceux d’André ont l’intérêt supplémentaire d’aborder des aspects peu évoqués, comme le fait d’avoir été témoin de massacres (lire ci-contre) et le sort réservé aux Malgré-Nous SS à la toute fin de la guerre. Car il y a tout juste 70 ans, si l’Allemagne nazie avait capitulé depuis cinq mois, André et certains de ses camarades étaient encore loin d’être au bout de leurs peines.

    « À partir du 1er octobre 1945 , témoigne ainsi André, j’ai eu le contact, le triste contact, avec les Américains… Je me suis retrouvé dans un camp à Heilbronn, dans le Bade-Wurtemberg. C’était un camp analogue au Struthof. Nous étions 30 000 soldats enfermés là-dedans, dont 800 SS. Mais alors que les prisonniers issus de la Wehrmacht étaient logés dans des baraques, ceux de la Waffen SS devaient dormir dehors : nous étions comme du bétail… Pour nous protéger, on avait juste une pelle pour creuser un trou, deux couvertures et une bâche. Ça a duré comme ça tout le mois d’octobre. Heureusement, le temps était clément et presque sans pluie… La nourriture ? C’était ce qu’on donne aux cochons, on ne peut pas dire autrement ! Deux ou trois cuillères d’un mélange de betteraves, de pommes de terre crues, de pain… Juste assez pour faire revenir la souffrance de la faim. Les Américains voulaient punir les SS ! Pour eux, c’étaient les plus grands des meurtriers. Ils n’imaginaient pas qu’il pouvait y avoir dans le lot des incorporés de force alsaciens et lorrains, là contre leur gré… »

    À compter du 1er novembre 1945, André s’est retrouvé dans un autre camp, à Darmstadt, dans des conditions plus décentes : « On dormait dans des tentes de 16 hommes. La Croix-Rouge est passée à la mi-novembre pour nous faire remplir des formulaires, afin de prévenir nos familles. Mais, quand il s’agissait des SS, les Américains ont retardé l’envoi de ces courriers… Finalement, on a pu être libérés en février grâce à une délégation militaire française, qui a expliqué notre cas aux Américains. »

    Ce n’est donc qu’en février 1946, soit neuf mois après la victoire alliée du 8 mai 1945, qu’André a pu rentrer en Alsace. « Au Wacken, à Strasbourg, on nous a donné des vêtements civils et on a été examinés par des docteurs. J’ai été pesé trois fois, et, je ne le croyais pas, mais ça a été confirmé trois fois : je pesais 30 kilos et 400 grammes. J’avais 19 ans et demi… Je suis revenu dans mon village le 3 février, un dimanche, le jour de la fête patronale, la Saint-Blaise ! Personne ne savait que j’étais vivant et je suis apparu… Pendant longtemps, je n’ai pas pu manger normalement : je devais manger très peu, sinon j’aurais pu mourir… »

    « Mourir une fois, ou survivre tous les jours »
    A-t-il alors raconté facilement ce qu’il venait de vivre ? « J’ai dit des choses avec le temps… Mais il est impossible de comprendre à quel point c’était horrible quand on ne l’a pas vécu corps et âme ! Avoir vu tous ces morts, être toujours dans l’angoisse du jour d’après, toujours entre la vie et la mort… Dans la guerre, on sait à l’avance qu’on va vers le malheur ! Des fois, on ne réalisait qu’au matin qu’on avait dormi sur des cadavres, tellement on était usés… Il n’y a que deux choses pendant la guerre : mourir une fois, ou survivre tous les jours. »

    Nous sommes allés saluer André, à Muespach, avant de publier son témoignage. Il n’a rien ajouté à ce qu’il avait déjà dit et écrit, mais il a eu la lucidité de lancer ce dernier message : « J’espère que ça n’arrivera plus ! »

     

    guerre mondiale

    appel 18 juin


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