• E/ Les 17 de Ballersdorf

    Histoire Il y a 70 ans, les 17 de Ballersdorf payaient de leur vie le refus du nazisme

    le 10/02/2013 à 05:00 par Textes : Hervé de Chalendar Photos : Thierry Gachon

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    Jeannette Brunnengreber montrant une photo de son frère Camille ; il portait alors l’uniforme   de l’armée française et avait une vingtaine d’années. Il est mort une dizaine d’années plus tard,  le 17 février 1943, fusillé au Struthof parce qu’il n’avait pas voulu porter l’uniforme allemand.

    Jeannette Brunnengreber montrant une photo de son frère Camille ; il portait alors l’uniforme de l’armée française et avait une vingtaine d’années. Il est mort une dizaine d’années plus tard, le 17 février 1943, fusillé au Struthof parce qu’il n’avait pas voulu porter l’uniforme allemand.

    En février 1943, le drame de Ballersdorf fut l’illustration la plus terrible des risques encourus par les Alsaciens qui ont tenté d’échapper à l’incorporation de force. 17 jeunes y ont laissé la vie et leurs familles ont été déportées. Jeannette, 87 ans, se souvient.

     

    Son prénom de baptême est Marie-Jeanne, mais tout le monde l’appelle Jeannette. Elle porte joliment ses 87 ans ; si « les jambes ont un peu de mal », la tête est en pleine forme. Jeannette Brunnengreber habite sur l’artère principale de Ballersdorf (la rue André-Malraux), entre la mairie et l’église. Si elle rouvrait les volets de l’épicerie que sa mère et elle ont tenue jusqu’en 1991, elle verrait l’imposant monument aux morts sur lequel est gravé le nom de son frère, Camille Abt. Le premier, par ordre alphabétique, des 17 victimes du drame de Ballersdorf.

    Les faits ont eu lieu il y a tout juste 70 ans. En février 1943, par vagues successives, des Sundgauviens ont tenté collectivement de rejoindre la Suisse pour échapper à l’incorporation de force dans l’armée nazie. En quelques jours, entre les 7 et 11 février, plusieurs groupes réussissent à passer : une vingtaine de personnes, puis environ 180, puis environ 80… Les Allemands sont sur les dents, quand, le 12, vient le tour des jeunes de Ballersdorf… Et cette fois, la tentative échoue : les jeunes sont surpris ; trois sont tués dans la nuit, les autres sont fusillés quelques jours plus tard (lire le récit ci-dessous). Pour l’exemple…

    « Ça fait du mal quand ça remue », confie Jeannette au moment d’évoquer une nouvelle fois ce qu’elle appelle pudiquement « ce triste épisode de ma jeunesse ». Elle le fait pourtant, dans la stube que chauffe un poêle efficace, avec un sourire et une gentillesse sans failles.

    Jeannette était alors une jeune fille de 17 ans (elle est née le 3 avril 1925). Les dates des diverses évasions varient beaucoup selon les sources. Mais elle en est certaine : la nuit fatale de Ballersdorf fut celle séparant le vendredi 12 du samedi 13 février 1943. « Camille avait 31 ans. C’était un des plus âgée du groupe. Il nous avait prévenus de sa tentative, on en parlait beaucoup. Mon père avait combattu en 14 dans l’armée allemande et il ne l’a pas dissuadé de partir… Juste avant le départ, en soirée, il est allé rejoindre le groupe parce que Camille avait oublié quelque chose. Mon frère était gentil, doux, obéissant… À l’époque, nous n’étions pas des wackes !

    J’ai le souvenir d’une nuit pluvieuse, avec du vent. Je trouvais qu’il y avait plus de voitures que d’habitude dans la rue, ce n’était pas normal… Tôt le samedi matin, on a vu Camille revenir. On était étonnés. Il a dit : ‘‘Ça n’a pas marché, il y a eu des morts.’’ Mon père lui a conseillé de prendre ses habits de tous les jours et d’aller fourrager les bêtes, comme si de rien n’était… Mais dès 8 h, des militaires allemands, en uniformes verts, sont venus le chercher.

    Le dimanche fut très dur… Le village était bouclé par la Gestapo. À la sortie de la messe, les visages étaient blêmes. Le lundi 15, on a ouvert l’épicerie et, vers 9 h, les Allemands sont revenus. Ils nous ont dit qu’il fallait être prêts, papa, maman et moi, pour 11 h à la mairie, avec un petit bagage. On a juste pris un peu de linge. On n’avait même pas de valises, on a tout mis dans trois cartons. On a été emmenés au camp de Schirmeck avec les familles des jeunes concernés. Nous y sommes restés jusqu’au 25 mars 43. Quand on a vu ces gens habillés d’une triste façon, ces femmes aux crânes rasés, on a pris peur… On logeait dans des baraques, hommes et femmes séparés. Je dormais avec une copine de Ballersdorf pour avoir moins froid. Mais on avait de la chance : on n’était pas de corvée de lessive.

    On a appris l’exécution de Camille par un journal qu’on nous a fait passer. On n’a jamais récupéré son corps : ses cendres sont dans une fosse au Struthof.

    Ma mère et moi avons retrouvé mon père au moment du départ pour l’Allemagne. Ils nous ont affectés tous les trois dans une fabrique d’uniformes, dans le village de Feldrennach. Je cousais à la machine et mon père repassait des montagnes de pantalons, dix heures par jour. On logeait dans une pièce à côté de l’atelier. Ça a duré jusqu’en avril 45. L’Allemand qui dirigeait les lieux était plutôt gentil. Tous n’étaient pas des nazis… Il y en a un qui laissait mon père traire ses vaches en cachette, maman planquait le lait sous sa robe. Un jour, on a vu arriver nos meubles de Ballersdorf, comme si on ne devait plus jamais rentrer chez nous, en Alsace. Mais mon père était persuadé que l’Allemagne perdrait la guerre. Il écoutait la BBC en cachette, il était culotté !

    Et le retour à Ballersdorf a bien eu lieu : c’était le 4 mai 1945. Juste avant, on était passés par un centre de tri, à Strasbourg, où on a rencontré des personnes rentrant des camps : un spectacle indescriptible… Notre maison était occupée par des voisins : la leur avait brûlé. Mon père est rentré un mois plus tard, avec les meubles. Il a retrouvé un petit bocal en verre qu’il avait enterré, avec de l’argent. Mais ces billets ne valaient plus grand-chose… On a remis doucement en route le magasin. Après la guerre, des gens disaient qu’il y avait de la haine au village ; je n’ai pas eu cette impression, mais j’étais jeune… Et puis j’ai toujours dit comme beaucoup de gens : il faut pardonner… »

    le 10/02/2013 à 05:00 par Textes : Hervé de Chalendar Photos : Thierry Gachon

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